viernes, 31 de julio de 2015

Les Découvertes de Philae




La comète Tchouri, un concentré glacé de germes de vie

LE MONDE |


La comète Tchouri sur une photo prise par la sonde Rosetta le 20 juillet. 
 La comète Tchouri sur une photo prise par la sonde Rosetta le 20 juillet. ESA/Rosetta/Navcam

Depuis le 9 juillet, Philae n’a plus donné signe de vie. L’atterrissage acrobatique du petit robot, largué en novembre 2014 par la sonde Rosetta, de l’Agence spatiale européenne (ESA), sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko – Tchouri de son petit nom –, à un demi-milliard de kilomètres de la Terre et après un voyage dans l’espace de plus de dix ans, avait tenu la Terre en haleine. Mais Philae ne répond plus. Son mutisme s’explique-t-il par un changement d’orientation provoqué par le dégazage du noyau cométaire, qui rendrait ses émetteurs ou ses panneaux solaires inopérants ?

Les plus de 300 chercheurs européens engagés dans ce programme, dont plusieurs équipes françaises du CNRS et du Centre national d’études spatiales (CNES), n’ont pas perdu espoir de rétablir le contact. En attendant, les résultats scientifiques tombent comme une pluie de météorites.

Pour preuve, les sept publications réunies dans la revue Science, qui consacre, vendredi 31 juillet, un numéro spécial aux premières données engrangées par Philae. Celles que le robot-laboratoire, bardé de dix instruments (caméras, foreuse, sondeur radar, spectromètre, magnétomètre, analyseur de gaz et autres détecteurs), a collectées pendant soixante-trois heures sur Tchouri, entre le 12 et le 14 novembre 2014, avant d’entrer en hibernation durant sept mois.

« Ce qui est fantastique, c’est que pour la première fois dans l’histoire de l’étude des comètes, nous avons accès à la vérité du terrain. Tout ce que nous savions jusqu’ici venait d’observations lointaines ou de survols par des sondes », s’enthousiasme Nicolas Altobelli, responsable de la mission Rosetta à l’ESA. « Ce que nous apprenons sur cette comète est très éloigné de ce que nous imaginions. C’est à cela que l’on reconnaît les découvertes importantes », renchérit Jean-Pierre Bibring, professeur à l’université Paris-Sud et responsable scientifique de Philae.

Contrastes sur toute la surface



  
 
De fait, les images et les mesures réalisées par l’atterrisseur renouvellent la vision des comètes, petits corps célestes faits de gaz gelés et de poussières, un peu vite qualifiés de « boules de neige sales ». Les tribulations de Philae, qui, après avoir touché la surface de Tchouri, a rebondi par deux fois avant de se poser environ un kilomètre plus loin, sont elles-mêmes riches d’enseignements. Sur le premier site d’impact, baptisé Agilkia, le terrain est meuble, couvert de matériaux granuleux sur une vingtaine de centimètres d’épaisseur. Au point de chute final, Abydos, le sol glacé est beaucoup plus dur.

Ces contrastes se vérifient sur toute la surface de l’astre aux reliefs tourmentés, faits de creux et de bosses, avec des fractures qui, déjà mises en évidence par Rosetta aux grandes échelles, sont également apparentes à l’échelle millimétrique. A l’inverse, sa structure interne se révèle, du moins pour le lobe supérieur sondé par des ondes électromagnétiques, poreuse mais très homogène.

« Ce type de mesure n’a jamais été réalisé auparavant, explique Nicolas Altobelli. Cela va permettre de mieux comprendre les processus d’accrétion des grains de poussières primordiaux formant les premiers petits corps du Système solaire, dont certains ont pu évoluer jusqu’au stade de planète, tandis que d’autres, les comètes, sont restés à un stade primitif préservant quasi intact un état intermédiaire du processus de formation planétaire. »


 

Féconder les océans terrestres

 



- / AFP
 
Mais Tchouri réservait une plus grande surprise encore. Il apparaît que son noyau est un concentré de molécules organiques. Dans le nuage de poussières soulevé par le premier contact de Philae avec le sol ont été trouvées seize de ces molécules, dont quatre (isocyanate de méthyle, acétone, propionaldéhyde et acétamide) n’avaient jamais été détectées sur une comète. Or, il s’agit de précurseurs de composés plus complexes (sucres, acides aminés, bases de l’ADN…) qui constituent les briques élémentaires du vivant.

Les comètes, en quasi-permanence congelées et donc dépourvues d’eau liquide, n’abritent évidemment aucune vie. Mais cette découverte conforte l’hypothèse que de la matière organique venue des comètes ait ensemencé les océans terrestres lors de bombardements de notre planète par ces astres. Un – gros – bémol toutefois : l’éventuelle présence de composés organiques complexes sur Tchouri n’a pu être confirmée par les premières analyses.

Ce qui est sûr, souligne Jean-Pierre Bibring, c’est que « le noyau cométaire est très riche en composés carbonés, qui ne se présentent pas sous la forme de petites molécules piégées dans la glace, comme on le pensait jusqu’à présent, mais de grains suffisamment gros pour résister à un voyage dans l’espace ». Et donc pour avoir pu féconder les océans terrestres. « Le système solaire, ajoute Nicolas Altobelli, est une machine à fabriquer et transporter de la matière organique, et les premiers résultats de Philae nous donnent un aperçu des processus chimiques précurseurs de l’apparition de la vie. »


 

Mission prolongée

Philae se réveillera-t-il pour en dire plus sur Tchouri, ce témoin des premiers âges du Système solaire, voilà 4,5 milliards d’années ? Ses communications – s’il est en état d’en avoir – avec la sonde Rosetta, qui lui sert de relais, vont être rendues plus difficiles, la comète approchant de son périhélie, le point de son orbite elliptique le plus proche du Soleil, qu’elle atteindra le 13 août. Sous l’effet de la chaleur croissante, l’activité cométaire, c’est-à-dire la sublimation de ses glaces dans un nuage de gaz et de poussières, va aller elle aussi crescendo, obligeant à placer la sonde sur une orbite suffisamment distante – près de 200 kilomètres – de la comète.

Avec ou sans Philae, Rosetta n’a de toute façon pas fini de moissonner des données. Elle va continuer à escorter Tchouri dans sa course lointaine, scrutant le petit astre dont l’hémisphère Sud, jusqu’alors dans l’ombre, va se trouver exposé en pleine lumière. Peut-être saura-t-on, en observant l’érosion provoquée par le dégazage, si la curieuse forme bicéphale de la comète, parfois comparée à un canard, est le résultat de l’agglomération de deux noyaux ou celui d’une perte de matière cométaire. D’ores et déjà, les scientifiques européens ont décidé de prolonger la mission de Rosetta. Alors qu’elle devait s’achever fin 2015, elle se poursuivra très probablement jusqu’à l’automne 2016.