14-Juillet : L’embarrassante parade de l’armée mexicaine sur les Champs-Elysées
LE MONDE - Paris
Frédéric Saliba
Mardi 14 juillet, à Paris, 149 cadets et cinq officiers de l’armée
mexicaine ouvriront le défilé sur les Champs-Elysées. Certains auront
sur leur poing ganté un aigle royal, emblème du Mexique, invité
d’honneur du gouvernement français pour la fête nationale. Parmi eux, un
détachement de la nouvelle gendarmerie mexicaine, formée par des
gendarmes français. Associée à la visite d’Etat du président mexicain
Enrique Peña Nieto, du 13 au 16 juillet, cette initiative suscite de
vives réactions des deux côtés de l’Atlantique.
Des soupçons planent sur des violations des droits de l’homme commises par des militaires mexicains. « Les
disparitions forcées, la torture et les détentions arbitraires
constituent des pratiques répandues parmi les forces de sécurité et de
police mexicaines », affirme Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International en France. Elle ajoute que « François
Hollande doit rappeler à son invité que ces actes ne peuvent rester
impunis, alors que la France célébrera sa fête nationale ».
«
Les disparitions forcées, la torture et les détentions arbitraires
constituent des pratiques répandues parmi les forces de sécurité et de
police mexicaines »
Au Mexique, la polémique se concentre
sur de nouvelles révélations concernant l’affaire de Tlatlaya. Le
30 juin 2014 à l’aube, dans cette ville située à 240 km au sud-ouest de
Mexico, huit soldats tuaient 22 membres présumés d’une bande criminelle.
Dans la foulée, les autorités affirmaient que les militaires avaient
riposté à une attaque de « délinquants », tirant sur 21 hommes et une femme dans un hangar abandonné.
Depuis,
la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et la Commission
d’enquête spéciale du Congrès ont conclu séparément qu’au moins 15
victimes ont été tuées de sang-froid, alors qu’elles s’étaient rendues.
Les preuves de ce massacre auraient été altérées par les militaires, et
trois femmes, arrêtées à l’issue de l’intervention, auraient été
menacées par des policiers pour les dissuader de témoigner.
Le
2 juillet, le Centre Miguel Agustin Pro Juarez, organisation civile
mexicaine de défense des droits de l’homme, a révélé que l’ordre de
mission des militaires impliqués était d’« abattre les criminels durant la nuit ». Et de préciser : cette consigne constitue « une incitation à commettre de graves violations des droits de l’homme », excluant la piste d’un acte isolé. En face, le gouvernement nie en bloc.
26 000 disparus
Une autre affaire continue à agiter l’opinion : la disparition, le
26 septembre 2014, de 43 élèves-enseignants à Iguala, dans l’Etat de
Guerrero (sud-ouest), qui avait provoqué une vague d’indignation au-delà
des frontières. Selon l’enquête officielle, les disparus auraient été
attaqués par des policiers municipaux, liés à un cartel de la drogue.
Ces derniers les auraient remis à des narcotrafiquants qui les auraient
tués, avant de brûler leurs corps et de jeter leurs restes dans une
rivière. Le maire d’Iguala et le gouverneur du Guerrero, élus du Parti
de la révolution démocratique (PRD, gauche), sont mis en cause.
Neuf
mois plus tard, des voix se lèvent pour dénoncer une possible
complicité de l’armée dans cette disparition forcée. Selon plusieurs
témoignages, des soldats du 27e bataillon, basé à Iguala,
étaient présents lors du massacre. Le 29 juin, les experts indépendants,
nommés par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, ont
déploré que les autorités ne leur permettent pas l’audition des
militaires du 27e bataillon.
Plusieurs détenus auraient été torturés par la police. De tels abus seraient « généralisés »,
selon les récents rapports des Nations unies sur les disparitions
forcées et la torture, dans un pays qui compte 26 000 disparus. Entre
2010 et 2013, plus de 7 000 plaintes ont été déposées auprès de la CNDH.
Mais seuls sept tortionnaires ont été déclarés coupables par les
tribunaux. Des voix dénoncent les dérives d’un usage excessif de la
force depuis que l’ancien président Felipe Calderon, du Parti d’action
nationale (PAN, droite, 2006-2012), a déployé les militaires sur le
territoire pour lutter contre les cartels de la drogue, avec le soutien
logistique des Etats-Unis.
Son successeur, M. Peña Nieto, estime
que 35 000 à 45 000 militaires doivent rester dans les rues pour pallier
la corruption policière. « Ce n’est pas notre vocation de réaliser
des fonctions de police, mais nous sommes conscients que personne
d’autre ne peut s’en charger », a déclaré le ministre de la défense, le général Salvador Cienfuegos Zepeda, dans un entretien au quotidien El Universal
daté du 29 juin. Le ministre a revendiqué une baisse des plaintes
contre des militaires. Selon son ministère, ces dernières ont chuté de
588 à 223 entre le premier trimestre 2012 et la même période en 2015.
« Surexposition des forces armées »
Mais 3.530 affrontements ont impliqué ses troupes depuis neuf ans,
soit plus d’un par jour. La lutte des cartels entre eux et contre les
forces de sécurité a fait plus de 100 000 morts. « La spirale de la
violence et les violations des droits de l’homme sont la conséquence de
la surexposition des forces armées, qui n’étaient pas préparées à
réaliser des opérations de maintien de l’ordre public », estime
Enrique Gonzalez, sociologue spécialiste de l’armée à l’Université
nationale autonome de Mexico (UNAM). José Francisco Gallardo, général de
réserve qui a dénoncé les abus des militaires, précise que « les
vieilles pratiques répressives ont la vie dure. A l’instar des meurtres
commis par les autorités durant la “guerre sale” des années 1960 et
1970, aucun haut gradé n’a jamais été jugé pour une exaction commise par
ses troupes ».
Pourtant le président Peña Nieto, dont
l’entrée en fonctions marque le retour au pouvoir du Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), a fait du respect des
droits de l’homme une priorité. Le 13 juin 2014, une réforme du code de
justice militaire est entrée en vigueur. Désormais, pour mettre fin à
l’impunité, les soldats accusés de crimes contre des civils seront jugés
par la justice ordinaire et non plus par des tribunaux militaires.
Ainsi, les huit soldats inculpés dans l’affaire de Tlatlaya seront
présentés devant un tribunal civil. Le général Cienfuegos a reconnu que
cette affaire est « très coûteuse » pour l’image de son institution, qui reste néanmoins la plus fiable aux yeux des Mexicains, selon les sondages.
M. Peña
Nieto a annoncé, en septembre, la participation de Mexicains aux
opérations de maintien de la paix des Nations unies en Haïti et au
Sahara occidental. Jusqu’à présent, les principes de la diplomatie
mexicaine avaient toujours été de ne pas s’impliquer dans un conflit en
dehors des frontières du pays. Cette innovation divise l’opinion. Le
lieutenant-colonel Victor Manuel Serrano, qui ouvrira la marche des
cadets sur les Champs-Elysées, se dit, lui, « honoré ».
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http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/07/11/la-drole-de-parade-parisienne-des-cadets-de-l-armee-mexicaine_4679451_3222.html#xsEUZwDPKfE5WpIB.99