Bachar Al Assad affecte l’ouverture pour gagner du temps
URGENT: Défection du pantalon présidentiel 5 minutes après sa désignation comme Premier Ministre
Il y a quelques jours, des Syriens
annonçaient sur le mode humoristique la défection imminente de Bachar
Al Assad. Certains d'entre eux auraient aimé en voir la confirmation
dans la déclaration faite à Moscou, mardi 21 août, par Qadri Jamil, l'un
des vice-Premiers ministres du gouvernement syrien : "le régime est prêt à discuter d'un départ du président Bachar al-Assad dans le cadre de négociations avec l'opposition".
De tels propos ne pouvaient en effet avoir été inspirés à celui qui les
avait tenus que par le chef de l'Etat syrien, désormais aux abois.
Il n'avait pas échappé aux observateurs que, durant la prière de l'Aïd al Fitr qui clôt le mois de jeûne de Ramadan, le président semblait par moments étrangement absent,
pour ne pas dire singulièrement préoccupé. Peut-être savait-il déjà
qu'il devrait se rendre le lendemain à l'aéroport pour récupérer la
dépouille d'un haut personnage que - mauvais présage - toute la
sollicitude et l'expertise médicale des Russes n'avaient pas suffi à
maintenir en vie. Certaines rumeurs, auxquelles le vice-ministre russe
des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov n'est d'ailleurs pas
étranger, laissaient entendre qu'il s'agissait de son frère Maher. Il
avait été grièvement blessé et il avait perdu les deux jambes, le 18
juillet, lors de l'opération contre le siège du Bureau de la Sécurité
Nationale, où il participait à une réunion de la Cellule centrale de
Gestion de Crise. D'autres rumeurs affirmaient qu'il s'agissait plutôt du général Jamil Hasan, directeur des moukhabarat
de l'armée de l'air, lui aussi présent à cette réunion, dont la
brutalité ne date pas d'hier mais dont les termes manquent pour
qualifier la férocité manifestée depuis le début de la révolution contre
Bachar Al Assad.
L'accélération soudaine des évènements
suggère qu'il n'y avait peut-être pas lieu de choisir entre l'un ou
l'autre. La mise en exergue du nom de Jamil Hasan pouvait tout
simplement permettre de dissimuler le fait que Maher Al Assad,
lui aussi, était passé de vie à trépas, portant d'un seul coup de cinq à
sept la liste des très hauts responsables militaires ou sécuritaire
tués lors de cette opération. Pour ne rien dire des personnalités de
second ou de troisième plan... Ordre a donc été donné à Qadri Jamil de
se rendre à Moscou et d'annoncer, après consultation des parrains russes
qui ne mènent pas la danse au seul niveau médiatique, que le départ du
chef de l'Etat, un tabou absolu jusqu'à ce jour, pouvait désormais être
mis sur la table d'éventuelles négociations avec l'opposition.
Ce développement inattendu trahit
l'impasse et l'isolement dans lequel Bachar Al Assad constate enfin
qu'il s'est fourvoyé en imaginant pouvoir faire mieux que son père, et
en faisant de la violence l'unique réponse aux légitimes demandes de sa
population. Il pose, sur la forme, quelques questions. Mais il indique
moins de sa part une quelconque volonté de faire à son tour défection
que l'adoption d'une posture lui permettant, une fois encore, de
repousser les échéances et de gagner du temps.
La première question a trait à Qadri
Jamil lui-même. On remarque que, pour procéder à cette annonce, qui
marque une rupture brutale avec le tabou que constituait la simple
évocation d'un possible retrait du président héritier, le régime a évité
de désigner un "diplomate". Bachar Al Assad en a pourtant plus d'un à
sa disposition : s'il n'a pas fait défection à l'issue de la prière de
dimanche dernier, Walid Al Moallem, son ministre des Affaires
étrangères, aurait été tout à fait indiqué pour une telle mission ; si
elle n'a pas encore obtenu sa green card et rejoint sa fille
aux Etats-Unis, Bouthayna Chaaban, sa conseillère politique et
médiatique, aurait été à sa place dans ce rôle ; s'il est exact, comme
l'affirment à l'unisson les médias syriens, qu'il n'a pas abandonné le
navire, le vice-président Farouq Al Chareh, aurait pu démontrer à cette
occasion son expertise de vétéran de la diplomatie syrienne qu'il a
dirigée durant plus de 20 ans.
A y regarder de près, le choix de Qadri
Jamil n'a au fond rien d'étonnant. L'intéressé n'appartenant pas au
parti Baath, il sera toujours possible aux dirigeants syriens de
dénoncer son "initiative", si elle se révèle finalement sans suite ou
contre-productive, ou s'ils décident pour une raison ou une autre de
changer leur fusil d'épaule. Bref, il sera plus aisé de lui faire porter
le chapeau pour des propos que sa prudence et son opportunisme naturels
l'auraient dissuadé de tenir s'il n'y avait pas été invité.
Bien que revendiquant son appartenance à
l'opposition - la preuve, il a longtemps porté, avant d'entrer au
gouvernement, une écharpe rouge... -, il a peu à peu lié son sort à
celui du régime : en acceptant d'abord de créer un nouveau parti, le
parti de la Volonté populaire, aussitôt rebaptisé "parti du String" -
allez savoir pourquoi... - par ses adversaires... et nombre de ses amis ;
puis en présentant des listes de candidats aux élections législatives
que la totalité de l'opposition boycottait ; en se pliant ensuite aux
résultats manifestement trafiqués de cette consultation, sans mettre à
exécution ses menaces de démission ; en gardant le silence lorsque,
reniant une fois encore leurs engagements, les "décideurs" le privaient
du perchoir de l'Assemblée du Peuple, qu'ils lui avaient fait miroiter
comme prime à la participation ; et en se contentant, enfin, d'un poste
de 4ème vice-Premier ministre dans le nouveau gouvernement à la tête
duquel le tout puissant Mohammed Nasif Khayr Bek, conseiller sécuritaire
très écouté du chef de l'Etat syrien, l'avait un temps pressenti.
L'intérêt du personnage réside, pour le
régime syrien, dans les relations qu'il entretient de longue date avec
les Russes et la Russie. Avec l'URSS même, dans laquelle il a jadis fait
des études d'économie. Elles lui ont servi à se lancer avec un certain
succès, parallèlement à ses activités politiques, dans le business.
Membre du très stalinien parti Communiste syrien de Khaled Bakdach dont
il avait épousé la soeur, il espérait en devenir le premier secrétaire.
Faute d'obtenir le poste, confié d'abord à sa veuve, Wisal Farhat
Bakdach, puis à son fils Ammar Bakdach, il a tenté, en créant le Comité
national d'Union des Communistes syriens au début des années 2000, de
remédier à son profit aux scissions qui affectaient depuis la
décennie 1970 l'unité des communistes. Comme on pouvait le craindre, sa
tentative s'est soldée par l'apparition d'un parti supplémentaire, sorte
d'OVNI de la "vie politique" syrienne, si on peut dire, puisqu'il
n'était ni avec le pouvoir ni dans l'opposition, ni membre du Front
National Progressiste, ni composante du Rassemblement National
Démocratique, et que, à l'inverse de la majorité des publications
émanant de partis politiques, sa revue Qasioun était disponible dans les
kiosques ou les librairies.
Durant la même période, ses affaires ont
été, semble-t-il, florissantes. En 2011, il contribuait à hauteur de
700 000 dollars, à la création au Liban d'une nouvelle chaîne de
télévision évidemment nommée "Al Yasariya" (Gauche ou Gauchiste). Les
Syriens qui connaissent l'intéressé depuis longtemps, pour l'avoir
fréquenté au sein du parti, ont mille et une histoires à raconter sur
les sources d'enrichissement licites et illicites de ce millionnaire. Selon le site All4Syria
généralement bien informé, il a hérité une partie de sa fortune, son
père ayant travaillé comme agent en Syrie de la société russe
Technoexport, et ayant servi d'intermédiaire dans l'acquisition par les
Russes du terrain du quartier de Adawi sur lequel ils ont édifié leur
ambassade à Damas. Ils n'ignorent pas davantage son implication dans des
contrats d'armement avec la Russie, et dans le placement dans ce même
pays des petites et grosses économies de plusieurs chefs de services de
sécurité, retenus chez eux par les contraintes de leur statut et
incapables de se faire comprendre dans la langue de Dostoïevski. Ils ne
manquent pas de mettre en relation sa promotion gouvernementale avec la
présence en Russie de l'un de ses frères. Il pouvait en effet être utile
pour Bachar Al Assad et les siens, en ces temps d'embargo européen et
américain, de disposer à Moscou d'une tête de pont dans le contournement
des sanctions. Ses comptes en banque et ses relations dans les milieux
les plus divers, pas toujours très orthodoxes, constituaient une
ressource de première valeur. Quant à Qadri Jamil, sa présence au
gouvernement, avec la double casquette de vice-Premier ministre pour les
Questions économiques et de ministre du Commerce intérieur et de la
Protection des consommateurs... une nouveauté en Syrie, ne manquerait
pas de constituer pour lui aussi une opportunité.
Sur le fond, l'annonce de Qadri Jamil
confirme ce que l'on pressentait, à savoir que le pouvoir commence à
ouvrir les yeux sur la réalité de sa situation... mais qu'il est loin
d'avoir rendu les armes, au propre et au figuré. En déclarant que le
régime est prêt à "discuter d’un départ du président Bachar Al Assad
dans le cadre de négociations avec l’opposition", mais en refusant que
ce départ constitue un préalable au dialogue et en évoquant la
candidature de l'actuel chef de l'Etat à sa propre succession lors des
présidentielles de 2014, il a aussitôt refermé la porte qu'il avait
entrouverte. Car, ni lui, ni ceux qui depuis Damas pilotaient son
intervention, ne peuvent ignorer que, depuis le début du mois de juillet
2011 - vendredi "Retrait de la légitimité" (24 juin), vendredi "Dégage"
(1er juillet), vendredi "Non au dialogue" (8 juillet) -, le départ de
Bachar Al Assad est devenu le préalable à toute solution. Depuis lors,
la seule négociation à laquelle les révolutionnaires d'abord, les
opposants ensuite, se sont dit prêts à participer devra porter, non pas
sur la possibilité pour lui de se maintenir au pouvoir, mais sur les
meilleures conditions possibles de transmission de son pouvoir.
Le message délivré par Qadri Jamil ne
s'adresse donc pas à l'opposition, à laquelle il fait semblant de tendre
la main, mais, d'une part aux Russes et aux autres soutiens de la
Syrie, et, d'autre part, aux pays de l'Union européenne et aux
Américains. En affectant de répondre aux injonctions concernant le
dialogue, sans mentionner les préalables dont la Ligue arabe, à la fin
de 2011, et les Nations Unies, au printemps 2012, avaient assorti
l'envoi de leurs observateurs - retrait des militaires des villes,
libération des prisonniers, autorisation aux ONG d'entrer et de
travailler en Syrie... -, Bachar Al Assad fournit aux Etats qui lui
apportent leur soutien inconditionnel la possibilité de faire valoir,
sans bouger eux-mêmes d'un iota, qu'il est animé de bonne volonté, qu'il
veut faire montre d'ouverture et de souplesse et que ses futurs
interlocuteurs de l'opposition doivent démontrer de semblables
dispositions. Autrement dit, il permet à ceux qui sont prêts à le croire
sur parole de formuler, à l'endroit des révolutionnaires et des
opposants, de nouvelles exigences.
Il espère en même temps semer le doute
dans l'esprit des dirigeants européens et américain, dont il a eu tout
le loisir de constater, au cours des 18 mois de crise, que "l'absence
d'alternative au pouvoir en place en Syrie" et "la crainte de
l'installation d'un régime islamique dans le pays", comme ils disent,
les retiennent en majorité de peser de tout leur poids en faveur de son
départ. Alors que son entourage se réduit comme peau de chagrin, que les
défections se multiplient et s'accélèrent, que de nouveaux secteurs
sont à leur tour saisis par le doute et que, en dépit de leur
supériorité en hommes et en matériel, ses forces armées se sont avérées
incapables de récupérer la ville d'Alep dans le délai qu'elles s'étaient
elles-mêmes fixé de manière un peu présomptueuse, il croise les doigts
pour que certains au moins des dirigeants occidentaux saluent son geste
et plaident encore une fois en faveur d'un nouveau délai.
Alors que l'opposition a d'ores et déjà
rejeté cette fausse ouverture, il est douteux que la majorité d'entre
eux se laissent abuser et comprennent les déclarations de Qadri Jamil
pour autre chose que ce qu'elles sont : un aveu de faiblesse et la
reconnaissance par Bachar Al Assad que, désormais, seul le temps peut
encore le sauver.