Nadine Morano, incarnation de la
dérive droitière
LE MONDE, le 08/10/2015
Par Alexandre Lemarié
C’est officiel : Nadine Morano ne sera pas la tête
de liste des Républicains (LR) en Meurthe-et-Moselle pour les
élections régionales. Mercredi 7 octobre, le parti a retiré l’investiture
de la députée européenne en Meurthe-et-Moselle pour sanctionner ses propos sur une
supposée « race blanche » à défendre dans une France en voie d’islamisation, et l’a remplacée par
l’ancienne députée Valérie Debord. Certes,
la sortie de Mme Morano, qui s’est récemment déclarée candidate à la
primaire à droite pour la présidentielle de 2017, n’engage pas sa formation dans son
ensemble. Il n’empêche : le « dérapage » de l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, selon l’expression de ce dernier, dit
quelque chose de la droite actuelle.
Il lustre la dérive droitière d’une partie de l’ex-UMP, qui a ouvertement décidé de concurrencer le Front
national sur son terrain dans l’espoir de limiter
sa progression. Sur l’immigration, la sécurité et l’identité, des ténors de LR
rivalisent de formules chocs, afin de retenir
les électeurs séduits par le discours de Marine Le Pen.
Au risque de tomber
dans la surenchère et de franchir
la ligne rouge, comme ce fut le cas de Mme Morano.
Ses propos sont venus après
beaucoup d’autres. Récemment,
plusieurs responsables de LR ont émis des idées
proches de celles de l’extrême droite : Christian Estrosi a évoqué
l’existence d’une « cinquième colonne » islamiste en
France ; Bruno Le Maire et Xavier Bertrand ont proposé d’« expulser »
ou d’« emprisonner » de manière préventive tous les étrangers
fichés pour leurs liens avec le terrorisme, sans avoir
de preuve de leur culpabilité ; la porte-parole de LR, Lydia Guirous, a
jugé nécessaire de « fermer les frontières de Schengen » ;
des maires de droite se sont dits prêts à accueillir des réfugiés chrétiens et non des musulmans…
La stratégie théorisée par
Patrick Buisson
S’il a condamné le « dérapage » de
son ex-protégée, M. Sarkozy a lui-même une part de responsabilité dans la
dérive droitière de ses troupes. C’est lui qui, dès 2007, a appliqué la
stratégie théorisée par Patrick Buisson, son ex-conseiller venu de l’extrême
droite, consistant à aller
le plus loin possible sur le terrain du FN, dans l’espoir de
« siphonner » ses électeurs. La manœuvre a fonctionné en 2007,
pas en 2012.
Qu’importe : dans son projet de reconquête de l’Elysée, M. Sarkozy a décidé de poursuivre dans cette direction, convaincu que la primaire et la présidentielle se joueront auprès de l’électorat le plus radicalisé.
Qu’importe : dans son projet de reconquête de l’Elysée, M. Sarkozy a décidé de poursuivre dans cette direction, convaincu que la primaire et la présidentielle se joueront auprès de l’électorat le plus radicalisé.
Le 24 septembre, lors des journées
parlementaires de LR, à Reims, il
soulignait ainsi la nécessité « d’aller plus loin » sur le
terrain de l’immigration et de l’identité nationale menacée. Au risque d’aller
trop loin, comme ce fut le cas pour Mme Morano. Laquelle n’a finalement
qu’appliqué – avec outrance et maladresse – l’orientation stratégique du
président de LR. « A force de courir
après le Front national, c’est la plus stupide qui s’est fait prendre »,
a moqué le président socialiste de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, sur
RTL.
Avant la polémique autour de Mme Morano,
le camp Sarkozy ne cachait pas son ambition de tenir
un discours plus radical que le parti frontiste. « Quand on porte des
positions claires, c’est le FN qui nous court après ! », se
réjouissait récemment un de ses proches. Depuis son retour sur la scène politique, à l’automne 2014, le président de LR a
ainsi multiplié les incursions sur les terres lepénistes, en glorifiant les « frontières »,
en prônant une réforme du droit du sol, ou en réclamant l’interdiction du voile à l’université et des repas sans porc dans
les cantines scolaires. Si, à la différence de Mme Le Pen, il ne
parle pas « d’invasion » au sujet de la crise des réfugiés, il
agite néanmoins la menace d’un tsunami migratoire, comme l’atteste l’image de
la « fuite d’eau » qu’il avait utilisée en juin.
Une séquence « pas
facile » pour M. Sarkozy
Les Français ne sont pas dupes de cette course à
droite toute. 60 % d’entre eux jugent que les propos tenus par Mme Morano
« sont le signe que la plupart des responsables des Républicains
partagent désormais des positions proches de celles du FN », selon un
sondage Odoxa pour iTélé et Paris Match, publié le 2 octobre.
Accusant l’ex-UMP de tenir « le même discours » que son parti,
Mme Le Pen a également identifié la manœuvre. A deux mois des
régionales, elle a choisi de durcir
un peu plus son discours sur l’immigration, afin de ne pas se faire
déborder
sur sa droite.
M. Sarkozy, dont l’image de rassembleur se
retrouve écornée, doit gérer
– de son propre aveu – une séquence « pas facile ». En
sanctionnant son ancienne fidèle, celui qui s’érige en pourfendeur de la
« pensée unique » à longueur de meetings apparaît en décalage
avec ses électeurs les plus radicaux, qui pourraient lui reprocher
de céder
à une forme de « bien-pensance » médiatique. Plusieurs soutiens de
l’ex-chef de l’Etat s’inquiètent des effets de la mise à l’écart de
l’eurodéputée sur des militants qui adorent le langage décomplexé de
« Nadine ». L’ex-ministre assure
d’ailleurs avoir reçu des « milliers » de messages de soutien.
« Nos
militants sont si radicalisés que beaucoup pensent comme Morano », admet un sarkozyste. C’est le
revers de la médaille de la stratégie de M. Sarkozy : à force de labourer
les terres du FN, il risque aujourd’hui d’être débordé par sa propre base.
LINK: http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/10/08/nadine-morano-incarnation-de-la-derive-droitiere_4784675_823448.html#1GP7BpY6ZBvDxIQY.99