A quelques jours des élections générales du 1er novembre, la Turquie
est en deuil. Elle enterre les jeunes gens victimes de l’attentat
perpétré, lors d’une manifestation, samedi 10 octobre à Ankara –
le plus meurtrier dans l’histoire du pays : 97 morts et des centaines
de blessés selon un décompte officiel ; 128 morts et plus de 500 blessés
selon une association de médecins. Membre clé de l’OTAN
dans une région en proie au chaos, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan
franchit un pas de plus sur la voie de la déstabilisation.
Qui ? La question n’a, pour l’heure, pas de réponse. Appelées à se réunir par le Parti démocratique des peuples (le HDP, prokurde, centre
gauche), avec le soutien des sociaux-démocrates du CHP et de quelques
syndicats, une dizaine de milliers de personnes, pour la plupart des
jeunes, participaient à cette manifestation. Elles réclamaient,
notamment, l’arrêt des combats entre l’armée et le parti kurde autonomiste armé, le PKK.
Elles
étaient réunies au cœur de la capitale, lorsque deux bombes ont explosé
dans le cortège. Selon les autorités, il s’agit d’un double
attentat-suicide, chaque kamikaze portant un engin bourré de TNT et de
milliers de minibilles en acier. La presse favorable au président
Erdogan incrimine, pêle-mêle, sans grand souci d’exactitude, le PKK, l’Iran ou l’organisation djihadiste Etat islamique (EI). Nombre d’observateurs penchent pour la piste de cellules dormantes de l’Etat islamique, désireuses de frapper les Kurdes (qui combattent l’EI en Syrie) ou de déstabiliser la Turquie.
Mais l’attentat intervient dans un climat de polarisation politique
et d’exacerbation des tensions intérieures dont le parti du président,
l’AKP (islamo-conservateur), est entièrement responsable. Depuis qu’il
a, pour la première fois en douze ans, perdu les élections générales, le
7 juin, l’AKP joue avec le feu. M. Erdogan voulait une majorité forte
pour pouvoir changer la Constitution et doter la Turquie d’un régime présidentiel. L’AKP n’a pas dépassé les 40 % des suffrages, du fait de la percée du parti HDP.
Depuis,
tout se passe comme si l’AKP, se refusant à un gouvernement de
coalition et appelant à un nouveau scrutin, était prêt à tout pour
l’emporter. Le régime n’a eu de cesse de se venger du HDP. Les partisans de l’AKP ont saccagé, mis à sac et brûlé les locaux du HDP dans le pays. M. Erdogan, qui devrait rester neutre, fait campagne en agitant un étonnant cocktail d’ultranationalisme et d’islam politique. Il a saisi le premier accrochage avec le PKK pour rompre une trêve de plus de deux ans et relancer les combats avec les Kurdes de Turquie. Comme s’il comptait sur cette guerre pour récupérer une partie de l’électorat laïque et nationaliste.
Cette
reprise de la guerre intérieure a lieu sur fond d’échec de la politique
syrienne de M. Erdogan – d’abord complice des islamistes, puis décidant
tardivement de participer
à la lutte contre l’EI. La Turquie, qui accueille plus de 2 millions de
réfugiés syriens, donne la priorité à la lutte contre les Kurdes, au
moment où elle devrait favoriser l’option exactement inverse : négocier avec ceux qui sont en première ligne contre les djihadistes.
Dans un contexte extérieur difficile, M. Erdogan devrait jouer l’apaisement intérieur. Il fait le choix de la division et de la crispation, pour gagner à tout prix. Au risque de plonger son pays dans une périlleuse spirale de violences.