La sécurité dans l’industrie chinoise « passe après la recherche du profit »
Le Monde.fr avec AFP |
Un homme blessé à Binhai, un quartier de Tianjin, le 13 août, après deux
énormes explosions dans une zone industrielle la veille au soir. JASON LEE / REUTERS
Deux
puissantes explosions, une forte onde de choc, des incendies dans un
entrepôt contenant des produits toxiques, et au moins 50 morts et plus
de 700 blessés. Si la cause précise de la catastrophe industrielle qui a
eu lieu, mercredi 12 août au soir, dans le port de Tianjin dans le
nord-est de la Chine, reste à déterminer, ce drame montre une nouvelle
fois les failles de sécurité dans les infrastructures d’un pays que l’on
surnomme parfois « l’usine du monde ».
Chaque
année, les accidents industriels meurtriers se comptent par centaines.
Entre janvier et août 2014, le gouvernement chinois a ainsi compté 640 «
graves » accidents du travail, ayant entraîné la mort de près de 2 700
personnes. De son côté, l’ONG China Labour Bulletin a élaboré une cartographie interactive des accidents du travail dans le pays, listant 342 cas qui ont concerné au moins trois employés ou tué au moins une personne, cités dans les médias chinois depuis décembre 2014.
Rien que le mois dernier, quinze personnes ont été tuées lors de l’explosion d’un site illégal de stockage de feux d’artifice
dans la province du Hebei, dans le nord de la Chine. Et douze autres
sont mortes dans l’effondrement d’une fabrique de chaussures à Wenling,
dans l’Est. Parmi les accidents les plus tragiques, on peut aussi citerla mort de 119 personnes
prises au piège, en l’absence d’issues de secours praticables, dans
l’incendie d’un abattoir de volailles dans le nord-est du pays en 2013.
En
août 2014, la Chine s’était aussi émue de la mort de 75 personnes dans
l’explosion d’une usine de pièces de voitures approvisionnant
l’américain General Motors, à Kunshan, près de Shanghaï – un bilan rehaussé plus tard à 146 morts selon China Labour Bulletin.
Des ONG et des médias ont une fois encore mis en cause les normes de
sécurité sur le site. La déflagration aurait été provoquée par une
flamme allumée dans une salle confinée remplie de poussières en
suspension. « Il y avait des inspections, mais dès qu’elles étaient terminées, plus personne ne prêtait attention aux règles de sécurité », a témoigné un ouvrier cité par l’agence Chine nouvelle. « Des mesures comme des systèmes de ventilation adéquats auraient dû empêcher l’accumulation de particules de poussière », a abondé de son côté China Labor Watch, une ONG basée aux Etats-Unis.
Renforcement des sanctions
A
la suite de cet accident de Kunshan, dix-huit personnes, dont trois
responsables de l’entreprise et des membres du gouvernement local, avaient été poursuivies
pour leur rôle dans la catastrophe, et 214 usines suspendues à cause de
problèmes de sécurité similaires dus à une « pollution poussiéreuse ». La
loi sur la sécurité au travail a aussi été rendue plus sévère fin 2014.
L’enquête sur cet incident ayant déterminé que la plupart des employés
n’étaient pas au courant des procédures de sécurité, les formations du
personnel ont notamment été renforcées.
Parmi les autres mesures,
les entreprises de plus de 100 salariés doivent ouvrir un poste à
plein-temps dédié à la sécurité, et le rôle des syndicats dans ce
domaine a été consolidé. Les sanctions ont aussi été sensiblement
augmentées : pour un accident grave, c’est-à-dire qui entraîne 10 à 30
morts, 50 à 100 blessés, ou 50 à 100 millions de yuans (7 à 14 millions
d’euros) de pertes, l’amende maximale pourra désormais être de 20
millions de yuans (environ 2,8 millions d’euros), pour 100 000 yuans (14
000 euros) auparavant.
Ces nouvelles mesures permettent de punir
aussi plus sévèrement et personnellement les responsables plutôt que les
entreprises, souligne Liu Tiemin, de l’Académie chinoise des sciences
et technologies de sécurité, cité par la chaîne publique CCTV. Ils
pourront ainsi écoper d’une amende de 30 à 80 % de leur revenu annuel,
et se voir interdit de travailler à un poste de responsabilité dans une
entreprise du même secteur industriel. Les régulateurs, enfin, se
réservent le droit de couper le courant aux usines fautives, si la
sécurité continue d’y poser problème.
« La Chine a des
règles de sécurité déjà en vigueur pour éviter les explosions dans les
usines, le défi étant de convaincre les gouvernements locaux qu’il est
dans leur intérêt d’appliquer ces réglementations, plutôt que de fermer
les yeux sur leur violation par des industries locales lucratives », estimait cependant The Diplomat,
magazine couvrant la région Asie-Pacifique, à la suite d’un autre
accident industriel meurtrier survenu dans la province de Jiangsu il y a
un an.
Plusieurs cadres arrêtés
Ce
volet de sanctions sera-t-il appliqué après la tragédie de Tianjin,
considéré comme « accident extrêmement grave » selon la loi chinoise ?
D’après CCTV, plusieurs cadres travaillant pour une « entreprise concernée »
de cet entrepôt de Tianjin, dont le propriétaire est Tianjin Dongjiang
Port Ruihai International Logistics, ont été arrêtés mercredi.
Pour Geoffrey Crothall, de l’ONGChina Labour Bulletin basée à Hongkong, les règles de sécurité au travail sont légion en Chine, mais « faiblement appliquées, (…) la sécurité passant après la recherche du profit ». « En
général, dans ce type de cas, les autorités trouvent des boucs
émissaires, certains responsables vont être licenciés ou rétrogradés,
mais les choses vont finalement très peu changer, en dépit de la grande
publicité qui entoure cette tragédie », estime-t-il.