Le régime Poutine porte un coup dur à la société civile russe
Le Monde.fr |
Par Hélène Sallon
L'étau se resserre autour de la société civile russe. Dernier acte d'un durcissement amorcé avec le retour au Kremlin en mai de Vladimir Poutine, confronté depuis à une contestation sans précédent, l'Agence américaine pour le développement international (USAID) s'est vue notifier mercredi 19 septembre, l'ordre de cesser toutes activités à compter du 1er octobre. Après plus de vingt ans d'opérations sur le territoire russe et plus de 2,7 milliards de dollars (environ 2 milliards d'euros) dépensés dans des projets de développement, l'USAID a été accusée d'ingérence dans la vie politique russe.
"Ils ont utilisé des subventions pour influer sur les processus politiques et en particulier électoraux, ainsi que sur les organisations de la société civile", a justifié le porte-parole du ministère des affaires étrangères.
Outre l'attaque directe adressée aux Etats-Unis par le biais de son
agence étatique, la véritable cible de cette décision sont les
organisations et associations russes qui recevaient ses financements.
Environ 60 % du budget annuel de l'USAID - s'élevant à 50 millions de
dollars - allaient aux organisations pour les droits de l'homme et à la
promotion de la démocratie.
"Le pouvoir poutinien est organisé depuis le printemps pour mettre en place une série de mesures visant à limiter la liberté d'expression, à handicaper les critiques et à faire obstacle à l'interférence de pays étrangers comme les Etats-Unis. C'est un harcèlement", analyse Marie Mendras, politologue au CNRS et au CERI, auteur de Russian Politics. The Paradox of a Weak State, Columbia University State of New York.
Lire : La Russie ne veut plus de l'agence américaine pour le développement chez elle et "Usaid : "Un indicateur de la nervosité du régime russe'"
"AGENT DE L'ÉTRANGER"
L'une de ces mesures phares est la loi votée très largement en
juillet par la Douma qui oblige toute organisation ou association qui
est financée à majorité par des fonds étrangers à s'enregistrer comme "agent de l'étranger".
"La charge symbolique et politique est énorme. Le pouvoir stigmatise le financement et ces organisations comme voulant faire de la subversion politique. Ça rappelle le vocabulaire de l'époque stalinienne",
commente la politologue. Plus qu'un durcissement, elle y voit un
véritable retour en arrière après vingt années d'ouverture démocratique
progressive.
"Les gens qui prennent les décisions veulent réprimer
toute dissidence et toute critique de la façon la plus dure possible.
C'est effrayant de penser à ce qui peut désormais arriver", s'est inquiété Grigory Melkonyants, directeur adjoint de Golos, une ONG spécialisée dans l'observation indépendante des élections.
La fin des activités de l'USAID pose en effet la question de la
survie de certaines organisations de la société civile. Rares sont les
sources de financement pour les organisations dont le travail, même sans
être directement politique, peut être vu comme un contrôle exercé sur
le régime. Les entreprises russes sont "effrayées"
des implications possibles d'un soutien à des organisations
pro-démocratie, explique Svetlana Gannushkina, ancienne membre du
conseil des droits de l'homme du Kremlin à l'agence RIA Novosti.
Le bureau de Transparency International et de deux des plus anciennes organisations des droits de l'homme russe, Memorial et le Groupe d'Helsinki Moscou, dépendent majoritairement de l'aide étrangère. Pour Arseni Roguinski, le président de Memorial, l'association spécialisée dans la défense des droits de l'homme et l'histoire des répressions à l'époque communiste va devoir revenir aux pratiques en cours sous le régime soviétique : le recours aux volontaires.
ENTRAVER LA SUPERVISION DES ÉLECTIONS DU 14 OCTOBRE
A travers cette décision, certaines organisations emblématiques de la
société civile sont plus particulièrement visées. A l'instar de Golos,
qui a dénoncé des fraudes aux élections législatives fin 2011 et
présidentielle de mars remportée par Vladimir Poutine.
"Golos a joué un rôle essentiel dans l'observation indépendante
des élections russes depuis dix ans. Elle a fourni nombre d'observateurs
et une qualité d'analyse sur les fraudes dans des milliers de bureaux
de vote en 2011 et avant. Elle est devenue une référence pour les
experts", commente Marie Mendras. L'ONG, taxée de "judas" à la solde des Etats-Unis par Vladmir Poutine, avait ainsi été la cible d'un véritable harcèlement du régime pendant les élections.
Cette fois, le régime russe pourrait bien lui avoir
porté un coup décisif. Mercredi 19 septembre, sa directrice Lilia
Shibanova a déclaré à l'agence de presse Interfax, que la fermeture du
bureau de l'USAID en Russie allait entraîner l'effondrement des projets
de Golos. L'ONG avait notamment prévu d'élaborer une carte des
violations électorales en prévision du scrutin du 14 octobre qui se
déroulera dans certaines régions de Russie. "Notre projet est menacé. Nous ne trouverons pas de nouveaux fonds à temps", a ainsi déclaré Mme Shibanova.
La paralysie de Golos arrive à point nommé pour le président Poutine. "Les
élections locales et régionales du 14 octobre sont stratégiquement très
importantes pour la Russie dans des villes où Moscou est contesté. Les élites locales ne sont plus d'accord pour baisser les bras et laisser l'élite moscovite décider. De nombreux candidats entendent se présenter face au pouvoir et ils sont harcelés pour cela", commente Marie Mendras.
"Ces élections vont être un indicateur du mécontentement des
élites locales et le régime n'a pas envie que des organisations
sérieuses mesurent ce mécontentement", poursuit la politologue. Pour l'opposition, c'est un véritable coup porté à son ambition de faire de ces élections un test pour montrer sa capacité à canaliser l'énergie du mouvement de contestation populaire en succès électoral