domingo, 31 de agosto de 2014

Les Lumières contre l´obscurantisme du "Califat", contre l´irrationalité, contre le scientisme...



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"L'esprit des Lumières a encore beaucoup à faire dans le monde d'aujourd'hui"

LE MONDE | |

Pourquoi, aujourd'hui, une exposition sur l'esprit des Lumières ?

Il y a eu, au départ, une intention militante : rappeler les grands principes des Lumières nous a paru indispensable dans un moment historique marqué par le 11-Septembre, par les attaques d'un certain fanatisme religieux contre la laïcité, contre l'égalité des hommes et des femmes. Mais on ne pouvait s'en tenir à cette opposition simple : les Lumières sont parfois trahies par ceux-là mêmes qui s'en réclament.

Qu'avez-vous choisi dans cet héritage ? 

Le premier pas des Lumières est une critique des tutelles traditionnelles contrôlant les conduites humaines, et pour commencer de la religion. L'idée de critique est consubstantielle aux Lumières. A tel point que les critiquer aujourd'hui, c'est leur être fidèle ! La connaissance s'affranchit des autorités anciennes et devient une libre recherche de vérité, conduite par la raison et appuyée sur l'observation.
Sur le plan politique, cela mènera à contester la royauté de droit divin dans laquelle il faut obéir au roi ou aux nobles simplement parce que la tradition les a institués tels. C'est le peuple souverain, c'est-à-dire la totalité des habitants d'un pays, qui décidera de la conduite à suivre. Dans la sphère personnelle, l'individu ne se soumet plus qu'à sa propre volonté.

Mais le peuple souverain peut-il décider par exemple de manger les plus faibles ou de tuer les vieillards parce qu'ils sont improductifs ? 

Non, la volonté collective est limitée par deux grands principes. D'abord celui d'humanité. Le but de l'action sociale n'est pas de plaire aux dieux, ni de construire un avenir radieux, mais d'accroître le bien-être des humains pris un par un. L'être humain est devenu la finalité ultime de l'action.
Le deuxième principe, c'est l'universalité. Ce qui se traduit à l'intérieur d'un pays par l'exigence d'égalité : que vous soyez riche ou pauvre, intelligent ou stupide, femme ou homme, vous êtes pourvu de la même dignité. A l'extérieur, entre peuples, la reconnaissance de l'unité du genre humain coexiste avec une reconnaissance du droit de chacun à choisir sa voie, ce qui implique le renoncement à imposer le bien par la force.

Pourquoi les Lumières naissent-elles en Europe

Pluralité est le maître mot. C'est la confrontation avec les étrangers qui favorise l'esprit critique. Descartes est critiqué par Newton, qui lui-même est critiqué par des penseurs allemands ou italiens. Les hommes des Lumières voyagent sans cesse. Persécutés pour leurs idées, Voltaire, l'abbé Prévost, Rousseau vont partir en Angleterre. Mais, pendant ce temps, des Britanniques viennent en France : Bolingbroke, Hume, Sterne. Beaucoup seront accueillis en Prusse chez Frédéric II. Cette sorte de circulation permanente n'est pas un hasard : on subit des persécutions dans son pays, mais on y échappe en devenant un étranger, un visiteur, un exilé. Il y a aussi une forte émulation : c'est parce que Priestley développe ses théories sur l'oxygène en Angleterre que Lavoisier va pousser aussi loin ses recherches en France. Le philosophe écossais Hume pose la question : pourquoi l'Europe est-elle la terre des Lumières ? Parce qu'elle est le continent le plus morcelé, à la différence de la Chine, Etat unifié. Cette diversité est une valeur positive, perçue comme constitutive de l'Europe. Elle reste d'une actualité formidable pour L'Union européenne, qui est un aboutissement, encore partiel, de ce projet des Lumières.
D'autres projets sont-ils à parachever

Les Lumières sont destinées à rester à tout jamais inachevées. On a beaucoup dit, mais à tort, qu'elles se confondaient avec l'idée de progrès. Pourtant, leurs plus grands protagonistes n'ont nullement cru à un progrès automatique et linéaire. Rousseau, dans son Discours sur l'inégalité, expose une vision de l'histoire dans laquelle chaque progrès dans une direction s'accompagne d'une perte dans une autre. Le fait que nos voitures nous transportent de plus en plus vite mais qu'en même temps leurs pots d'échappement nous asphyxient : constatation qui n'aurait pas surpris Rousseau. Le moindre progrès se paye, et souvent chèrement. L'obscurité ne disparaîtra jamais définitivement.
Débarrassons-nous aussi de ce cliché selon lequel les Lumières voulaient tout soumettre à la raison, rationalisme aride que nous aurions battu en brèche en découvrant l'inconscient. Les penseurs des Lumières savaient que l'homme est conduit par ses passions, mais aussi que la raison est l'instrument donné en partage à tous. Pour engager le dialogue, nous devons faire appel à ce qui nous est commun, cette capacité de raisonner et d'argumenter. Idée fausse encore : les Lumières pécheraient par trop d'abstraction. "L'homme, monsieur, je ne l'ai jamais rencontré", ironisait Joseph de Maistre, ennemi juré de la Révolution. Or les Lumières ont inventé à la fois l'histoire et l'anthropologie, qui exigent toutes deux la reconnaissance de la singularité des sociétés. Il est vrai qu'elles ont maintenu aussi l'héritage de l'école du droit naturel, à savoir que les êtres humains, en tant que tels, étaient pourvus de droits, valables quels que soient le régime, le lieu ou le climat.

Parlons des personnages emblématiques de cette époque. Qui sont-ils ?

Deux figures familières accueillent les visiteurs de l'exposition, celles de Mozart et de Rousseau. Ce dernier est un critique des Lumières et, à ce titre, leur penseur le plus profond. Mozart, dont les opéras chantent l'aspiration à l'amour et au bonheur purement humains, est une brillante incarnation des Lumières. Comme d'ailleurs des peintres comme Fragonard, maître de la sensualité, ou Chardin, dont La Fontaine exprime mieux que de longs discours la dignité des humbles.
Douze personnages encadrent les six grands thèmes de l'exposition. Parmi eux, pour les sciences, Benjamin Franklin : cet américain autodidacte, inventeur du paratonnerre, était aussi un remarquable écrivain, un pédagogue et un homme politique qui a séjourné longtemps en France. L'Italien Vico plaide pour l'histoire au nom de l'irréductibilité des nations. L'Ecossais Adam Smith, les Allemands Kant et Goethe sont autant de figures indispensables.

Leur vision du monde peut-elle encore nous guider

Je le crois, et j'ai essayé de le montrer dans un petit livre, L'Esprit des Lumières. Rousseau voit les immenses dangers qui pèsent sur notre monde, mais, en même temps, il croit en la perfectibilité, qui est la possibilité pour chacun d'entre nous, s'il livre les efforts nécessaires, de se transformer. Mais cette liberté qui nous permet de nous perfectionner peut aussi nous conduire vers le mal.
Chez le juriste Beccaria, on trouve une remarquable argumentation contre la torture et la peine de mort. Or non seulement ces pratiques subsistent dans les faits en beaucoup d'endroits, mais elles ont été de nouveau théorisées à la suite des attentats du 11-Septembre : comme en France au moment de la guerre d'Algérie, on a proclamé que, dans la guerre contre le terrorisme, tous les moyens sont bons pour obtenir des renseignements. L'esprit des Lumières peut nous aider à combattre ces dérives effrayantes de la part des grandes démocraties.

De même, il est là pour nous rappeler que l'économie ne doit pas être sa propre finalité - le développement pour le développement -, mais qu'elle doit être au service des êtres humains. Une vie politique dans laquelle garder le pouvoir serait la seule motivation de ceux qui y aspirent est un autre exemple de cette abolition néfaste de la finalité humaine.

L'exigence d'universalité nous indique qu'au sein d'un pays il ne peut y avoir des citoyens de première et de seconde catégorie ; la participation démocratique ne saurait être déniée à ceux qui ne nous ressemblent pas parce qu'ils viennent d'ailleurs ou sont d'une autre religion. Bref, l'esprit des Lumières a encore beaucoup à faire dans le monde d'aujourd'hui.

Pourtant, des aspects peu reluisants de notre époque naissent des Lumières...

Les adversaires évidents, comme l'obscurantisme, sont les plus faciles à combattre. Plus sournois sont des travers enracinés dans les idées mêmes des Lumières. Par exemple le scientisme : alors que la science doit être servante, on l'a vue souvent sortir de son domaine pour dicter ses fins à la société. Dérive encore quand, de l'individu autonome des Lumières, on passe à l'individu autosuffisant. Or nous naissons dans le langage, dans la culture, et nous dépérissons dans l'isolement. Les Lumières ne sont pas davantage un éloge hédoniste de l'instant présent. L'être humain est pourvu de ces capacités spécifiques que sont la mémoire et l'imaginaire. Vivre seulement dans la sensation, c'est nier l'humain. Perversion enfin que le colonialisme, qui s'est paré des oripeaux des Lumières pour justifier ses conquêtes.

Avons-nous failli dans la transmission de l'héritage des Lumières ?

Ne nous berçons pas de l'idée que les démocraties libérales sont là pour toujours. Les forces opposées aux Lumières sont enracinées : la préférence pour la soumission plutôt que pour la liberté, le besoin de consolation, le goût du pouvoir ne sont pas moins humains que les valeurs promues par les Lumières. C'est pourquoi raviver les principes est une nécessité qui ne s'arrête jamais : la pierre risque toujours de rouler vers le bas, que ce soit dans notre propre existence ou dans la vie publique.