lunes, 18 de agosto de 2014

”LE MONDE”, une publication “d´autorité” aux yeux du ”NEW YORKER”



18 mars 1997 : le correspondant du « New Yorker » découvre son portrait dans « Le Monde »



LE MONDE | | Propos recueillis par



Des personnalités racontent une histoire singulière qu'ils ont eue avec « Le Monde ».

Dans les années 1990, l'Américain Adam Gopnik est correspondant à Paris pour le « New Yorker ». Il découvre, en 1997, le premier article que « Le Monde » lui consacre. Un choc.

J'espère que l'on pardonnera mon choix : sur quelque quarante années de lecture du Monde, j'ai choisi de citer ici le premier article que le quotidien a publié sur… moi. Mon ambition est certes plus noble, mais elle est partie d'une émotion vile, je l'admets. Pendant sept ans, dans les années 1990, tous les jours après le travail, j'allais jusqu'au Jardin du Luxembourg et m'y posais pour lire Le Monde, sirotant un café noir tout en m'immergeant dans les pages du quotidien. 

 Le 18 mars 1997, j'y ai découvert avec stupéfaction un article signé Sylvie Kauffmann évoquant ma correspondance à Paris pour le New Yorker, et qui me présentait, fort agréablement, en auteur « spirituel et voltairien ».

Jamais je n'avais reçu pareil choc : c'est qu'à mes yeux les pages du Monde décrivaient un univers où toutes choses semblaient évoluer dans une sorte d'Olympe guère accessible au commun des chroniqueurs américains. Je connaissais assez bien la culture française pour avoir compris que Le Monde possédait la plus rare des vertus dans le journalisme : l'autorité. Comment en vient-on à faire autorité, et à le faire sentir à ses lecteurs, édition après édition, voilà une question fascinante, et bien différente des autres questions – accessoires, elles – que soulève le statut de grand quotidien de référence.

Sans complaisance

Quelles sont les caractéristiques qui valent à une publication de faire autorité ? D'abord, une austérité dans l'apparence. La dimension symbolique de la communication est aussi importante que sa dimension articulée, et le classicisme inchangé de la police de caractères, la simplicité des filets bleus et l'absence de photographies qui a longtemps caractérisé Le Monde témoignaient, au-delà du contenu, d'une volonté de traiter le lecteur sans complaisance.

Deuxième facteur d'autorité, la réputation de savoir prendre du champ face à l'événement immédiat. Dans un paradoxe qui n'aurait pas déplu à Roland Barthes, l'autorité d'un journal se manifeste par son refus du journalisme au sens étymologique, celui d'une attention perpétuelle aux faits du jour. Le plus grand danger du journalisme populaire étant précisément de surestimer sans cesse la valeur du présent (« C'est la pire crise de l'histoire depuis la précédente, qui elle-même était déjà la pire de l'histoire ! ») et, ce faisant, d'instaurer un climat de panique, le sens de la mise en perspective est bien une caractéristique essentielle de l'autorité journalistique.

Enfin, et c'est sans doute, là-aussi, paradoxal, l'autorité d'un quotidien tient à son unité de ton. De nombreuses belles plumes ont écrit pour Le Monde, parmi lesquelles, évidemment, Sylvie Kauffmann. Cependant, nous lisons à New York notre Times, tout comme les Londoniens lisaient le leur avant l'ère Murdoch comme on va à la messe : convaincus, si je puis dire, qu'il s'opère une transmission directe du don d'autorité, du fondateur jusqu'au plus obscur des officiants. L'idée que la vie de tout quotidien, de tout magazine est faite de querelles intestines et de débats passionnés est une réalité que j'ai découverte en 2004 quand, de retour dans la capitale française, j'ai réalisé un long reportage sur les dissensions qui agitaient la rédaction parisienne. Mais à l'époque, dans l'aire de jeux du jardin du Luxembourg, c'est l'autorité du journal qui dominait ma lecture et me donnait le sentiment d'entrer dans un petit cercle de rigueur et de sens.

Qu'on me permette donc de porter un toast (au café noir, cela va de soi) aux combats que livre la rédaction du Monde, à cette époque où l'on ne jure plus que par l'instantanéité d'Internet, pour entretenir le culte de la vérité mûrement pesée.

Traduit de l'anglais par Julie Marcot.

http://www.lemonde.fr/festival/article/2014/08/17/18-mars-1997-le-correspondant-du-new-yorker-decouvre-son-portrait-dans-le-monde_4471870_4415198.html#xtor=AL-32280270