jueves, 18 de febrero de 2016

UBS: Les toilettes dégoutantes de financiers suisses internationaux





Fraude fiscale : le « témoin 119 », cauchemar d’UBS

LE MONDE
   Par






Les chargés d’affaires d'UBS reportaient toutes les informations relatives à leurs clients sur de bonnes vieilles fiches bristol cartonnées.


Entry to UBS's offices in Acasias district of the city.

S’il est un chiffre qui hante les nuits des dirigeants d’UBS, c’est bien le « 119 ». Il s’agit du numéro assigné par la justice à un ancien cadre d’UBS AG, en Suisse, qui a accepté de se confier au juge Guillaume Daïeff, le 10 mars 2014, à condition de rester anonyme. Un témoignage sous X extrêmement embarrassant pour UBS, et qui pèse aujourd’hui très lourd dans le dossier.

 

Le « témoin 119 » est un ancien chargé d’affaires d’UBS, basé à Lausanne entre 2000 et 2010, et chargé de la clientèle française. Son portefeuille comptait plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles « seul(e) s trois ou quatre » déclaraient leurs avoirs au fisc. « A Lausanne, a-t-il expliqué d’emblée au juge Daïeff, il y avait deux segments : le segment Core affluent pour des patrimoines compris entre 250 000 et 2 millions de francs suisses et le segment au-dessus de 2 millions qui s’appelait HNWI (High Net Worth Individuals), et qui comprenait aussi un chargé d’affaires qui s’occupait des Key Clients (de plus de 50 millions de francs suisses). » Autant de personnes fortunées fraudant allègrement le fisc français : selon l’ex-chargé d’affaires, seuls « 1 à 2 % sur le segment Core Affluent et 4 à 5 % sur le segment HWNI » déclaraient leurs avoirs.

 
Le témoin a longuement raconté le luxe de précautions prises pour protéger l’anonymat des clients qui, pour consulter leurs comptes, « appelaient par téléphone, beaucoup de cabines téléphoniques ». Pour s’identifier, soit le chargé d’affaires reconnaissait la voix du client, soit ce dernier utilisait une procédure spéciale, baptisée au sein d’UBS « identification à l’aide d’un nom conventionnel ». En clair, un nom de code – tel que « l’ami du Ritz » – qui était même utilisé pour les correspondances papier…

« Paranoïa »

Les chargés d’affaires reportaient toutes les informations relatives à leurs clients sur de bonnes vieilles fiches bristol cartonnées : « Il nous était interdit par la banque de tenir un fichier client informatique, car [elle] avait peur que ça sorte d’une manière ou d’une autre », a expliqué le témoin, pour qui les détenteurs de comptes « étaient extrêmement prudents. J’irais jusqu’à parler de paranoïa ».
Il a également révélé au juge que le recours aux sociétés offshore, destinées à opacifier encore davantage les avoirs dissimulés au fisc, s’était « développé au cours des années 2000 ».
« La banque évitait les trusts de Jersey ou de Guernesey parce qu’ils étaient trop proches de l’Europe, et ce sont les trusts des Bahamas qui se sont imposés, puis ceux de Singapour, mais c’était moins pratique pour la gestion, en raison du décalage horaire. En principe, on ne les proposait pas aux clients qui avaient moins de 1 million de francs suisses. »
Interrogé sur les country papers établis par UBS pour chaque pays « visé » et dans lesquels il était mentionné qu’ils ne devaient pas inciter leurs clients à frauder les fiscs locaux, le témoin 119 s’est exclamé : « C’est cela qui est agaçant : c’est la faute au client, c’est la faute au chargé d’affaires, mais ce n’est jamais la faute d’UBS ! C’est vrai qu’on a signé des country papers et le code de déontologie (…), mais dans le même temps, on nous donnait et on donnait aux clients tout ce qu’il fallait pour faire de l’évasion fiscale. »

« Un arsenal informatique pour rester discret »

Tout ce qu’il fallait, « c’était un arsenal informatique pour rester discret, notamment ces ordinateurs portables qu’on emportait en mission en France. On nous disait de les vider avant de passer la frontière, à l’aller comme au retour. Avant de partir en mission, on préparait en Suisse, sur une plate-forme virtuelle, tous les documents dont nous avions besoin. En France, en revanche, on pouvait se connecter sur cette plate-forme et charger tous les documents dont nous avions besoin, qui étaient disponibles durant le laps de temps que nous avions prédéfini ».

 
Des méthodes dignes de James Bond auxquelles les clients eux mêmes se prêtaient parfois, notamment pour faire sortir l’argent de Suisse et le remettre discrètement en France. « Certains faisaient la mule pour UBS et touchaient une petite commission, a expliqué l’ancien chargé d’affaires. J’ai assisté au Plaza Athénée à cette scène : une personne arrive, dépose un sac à la table où j’étais assis avec mon chef, et s’en va. Il n’y a ni reçu ni comptage. Mon chef se lève pour aller quand même compter aux toilettes avant que n’arrive la personne à qui remettre ces billets. »

Empruntant le vocabulaire des trafiquants, le témoin assure qu’à son départ de la banque, en 2010, « ces pratiques continuaient. Chaque conseiller avait sa méthode, son passeur, son intermédiaire ».

Quant au démarchage illicite en France de clients potentiels, le témoin 119 a vivement réfuté les arguments des dirigeants d’UBS pour qui rencontrer une personne fortunée, un « prospect » dans le jargon, ne s’apparente pas automatiquement à du démarchage :
« Si la banque nous payait des voyages en France, ce n’était pas seulement pour faire des serrages de mains et du relationnel. (…) De retour de France, nous devions faire un compte rendu et on nous indiquait de commencer nos phrases en disant “A la demande du client… nous procédons à telle ou telle opération”. Nous les rencontrions à leur domicile ou dans un hôtel, dans un lieu public. Il nous arrivait aussi de les rencontrer dans les locaux d’UBS France, mais ça nous était formellement interdit. »
Et puis, pour « ferrer » de futurs clients, il y avait les événements, sportifs par exemple, les fameux « events » : « Du speed dating, mais avec un peu plus de temps, et avec une clientèle un peu plus vieille », a résumé, sarcastique, l’ancien employé d’UBS, qui dénonce le double langage de ses anciens employeurs s’agissant des clients démarchés en France : « D’un côté on nous l’interdisait et de l’autre on nous demandait combien de contrats on avait fait signer. »

Avant même d’avoir témoigné devant le juge Guillaume Daïeff, le témoin 119 avait reçu deux coups de fil : « On m’a dit : “Si tu continues à l’ouvrir, ça va mal se passer pour toi”, et un deuxième appel où l’on me traitait de gros traître. »

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/evasion-fiscale/article/2016/02/18/fraude-fiscale-le-temoin-119-cauchemar-d-ubs_4867213_4862750.html#zX4jQi3REEkLbBfx.99