martes, 29 de enero de 2013

"Le président Morsi n'a pas de stratégie"....



"Le président Morsi n'a pas de stratégie" face aux manifestations en Egypte

Le Monde.fr |




Le président égyptien, Mohamed Morsi, a décrété l'état d'urgence pendant trente jours dans les villes de Suez, Ismaïlia et Port-Saïd, théâtres d'affrontements qui ont fait 46 morts depuis quatre jours dans le pays.

Le président égyptien, Mohamed Morsi, a décrété l'état d'urgence pendant trente jours dans les villes de Suez, Ismaïlia et Port-Saïd, théâtres d'affrontements qui ont fait 46 morts depuis quatre jours dans le pays. Des affrontements violents opposent également les manifestants aux forces de police au Caire. Ces nouvelles violences ont éclaté après la condamnation à mort, le 26 janvier, de 21 supporteurs du club de football local, Al-Masry, pour leur implication dans des violences qui avaient fait 74 morts en février 2012, après un match contre une équipe du Caire, Al-Ahly. Un jugement qui intervient alors que l'Egypte célèbre, dans un climat de tensions contre le pouvoir, le deuxième anniversaire de sa révolution.

Lors d'une allocution télévisée dimanche, M. Morsi a également appelé les principaux dirigeants politiques au dialogue. L'opposition, regroupée au sein du Front du salut national (FSN), avait appelé samedi à une "solution globale" à la crise politique incluant notamment un "gouvernement de salut national".


Florian Kohstall, politologue et représentant de l'université libre de Berlin au Caire, analyse les récents incidents en Egypte.

Quelle est l'origine des nouveaux troubles meurtriers qui secouent l'Egypte ?

La source des événements actuels est double. Le 25 janvier marquait le deuxième anniversaire de la révolution égyptienne. Ce jour-là, de violentes manifestations ont éclaté à Suez, qui ont fait cinq morts. Il y a un parallèle avec ce qui s'est passé en 2011, la révolution ayant commencé dans cette ville. On explique le fait que Suez soit un foyer de tension par la forte concentration de travailleurs dans la ville, une grande négligence des autorités et une tradition de réactions violentes.
D'autre part, le jugement du 26 janvier qui a condamné à mort 21 supporters du club de football Al-Masry de Port-Saïd a mis le feu aux poudres dans la ville. Dans les jours précédant le jugement, les supporteurs "Ultras" du club de football cairote Al-Ahly, ont menacé de se mobiliser très fortement si aucun verdict n'était rendu dans ce procès. Le 24 janvier, ils ont d'ailleurs mené une action concertée pour bloquer Le Caire. Des annonces avaient été faites avant le procès sur de nouvelles preuves qui pourraient motiver de le retarder. En dépit de ces annonces, le verdict a été rendu le 26 janvier en l'absence des accusés ; et le procès s'est tenu au Caire, et non à Port-Saïd, ce qui est inhabituel.
C'est un jugement politique. D'une part, parce qu'ils n'ont pas retardé le procès en dépit de ces nouvelles preuves pour calmer la colère des supporters d'Al-Ahly. Et d'autre part, parce que les 21 personnes jugées étaient des jeunes de 18 à 30 ans. Le jugement concernant les fonctionnaires du club et les forces de sécurité, lui, à été retardé à début mars, alors même que les rumeurs circulent sur le fait que la police a regardé les affrontements sans intervenir et qu'il y aurait eu des provocateurs parmi les responsables du club de Port-Saïd. En deux ans, les officiels n'ont jamais été condamnés dans aucun procès, que ce soit concernant "la bataille des chameaux" ou les heurts meurtriers pendant la révolution. On observe clairement une politisation de la justice, mais il est difficile de dire de quelle partie du pouvoir elle émane. En ce qui concerne le président Morsi, on remarque avec ce procès un changement de ton. Avant, il se battait contre la justice. Dans ses discours depuis le 26 janvier, il se base sur la justice pour qualifier de "traîtres" ceux qui contestent le verdict.

Des Egyptiennes à Port-Saïd, le 28 janvier.

Pourquoi les manifestations se sont-elles étendues, au Caire notamment, et dans le reste du pays ?
Dès le 24 janvier, la situation s'est embrasée au Caire. Le verdict rendu dans le procès de Port-Saïd, ainsi que les violences meurtrières qui ont suivi et la déclaration de l'Etat d'urgence, ont alimenté ces troubles. Depuis le 24 janvier au soir, les manifestations se poursuivent jour et nuit, animées notamment par de nouveaux groupes. L'un d'eux, le Black Block, est particulièrement violent. Il pourrait regrouper une cinquantaine de personnes qui se masquent le visage, ne parlent pas aux médias et se déclarent anarchistes. On retrouve aussi des révolutionnaires de la première heure et des Egyptiens qui ont des comptes à règler avec la police, comme les familles des martyrs de la révolution. Il est difficile de savoir avec exactitude qui est présent place Tahrir actuellement. Il y a au Caire une grande colère contre le gouvernement de Morsi et les Frères musulmans. La situation est très explosive aujourd'hui.

Le FSN, principale coalition de l'opposition dirigée par MM. ElBaradei, Moussa et Sabbahi, a appelé à manifester et a rendu public ses revendications pour entrer dans un dialogue national : amender les articles de la Constitution qui font polémique ; former un gouvernement de salut national ; abroger totalement les décrets pris par le président Mohammed Morsi le 22 novembre ; une loi électorale plus transparente ; l'organisation d'une élection présidentielle avant quatre ans. L'opposition se positionne pour les élections législatives à venir avec des revendications maximales. 

Quelle est la stratégie adoptée par le président Morsi face à ces nouvelles manifestations violentes ?

Le président Morsi n'a pas de stratégie. Il estime que les manifestants vont se fatiguer, d'autant plus qu'ils n'ont pas un fort soutien au sein de la population, qui est elle-même lassée. Il n'a pas montré de volonté d'apaisement face aux manifestants. Il a même présenté ses condoléances pour les victimes de ces nouveaux affrontements par le réseau de microblogging Twitter, ce qui a été très mal vu. Son offre d'ouvrir un dialogue national n'est par ailleurs pas concrète. Les Frères musulmans ne veulent pas former un gouvernement de salut national et ne veulent pas faire d'offre à l'opposition. Ils n'ont pas réellement de porte de sortie.

La stratégie des Frères musulmans va certainement être d'attendre la tenue des élections législatives dans les prochains mois, où ils espèrent être majoritaires. Ils ont besoin du Parlement pour gouverner et faire le lien entre le gouvernement local et le gouvernement national. Au vu des résultats que le candidat des Frères, Mohamed Morsi, a enregistré lors de l'élection présidentielle, il n'est pas certain qu'ils récoltent un score aussi élevé qu'aux précédentes législatives. Cela dépendra des règles du jeu électorales, notamment de leur transparence et de la capacité des partis de l'opposition à se coaliser.