miércoles, 9 de abril de 2014

L´Union européenne dans le monde







La place de l’Union européenne dans le monde
Eneko Landaburu



Introduction

Absorbée par la crise de la dette, la fragilité de ses institutions financières, le combat pour la croissance et contre le chômage, la montée des populismes, l’Union européenne (UE) n’a pas réussi au cours de ces dernières années à consolider ni encore moins à accroître son influence et son rôle sur la scène internationale.
La question qui se pose donc aujourd’hui, à quelques semaines du grand rendez-vous démocratique des élections au Parlement européen, est celle de savoir – par rapport aux dures réalités et aux échecs passés – ce qui peut être raisonnablement envisagé au cours de la prochaine législature pour assurer des avancées significatives dans le domaine de la politique extérieure de l’Union.

Le déclin de l’Europe 

Les raisons en sont bien connues. Mentionnons toutefois la dégradation relative de son poids économique face à la forte croissance des pays émergents. Ces puissances émergentes ont utilisé le levier du capitalisme de marché, dopé par les techniques de l’information pour produire un développement économique et social d’ampleur et de rapidité inconnues jusqu’alors, entraînant une forte réduction de la pauvreté. Il s’en est donc suivi un grand basculement qui rebat les cartes de la géopolitique mondiale.
L’Europe, qui a perdu une bonne partie de ses avantages technologiques et qui doit assumer le coût élevé de son modèle social, est entraînée vers une dégradation manifeste de sa compétitivité sur les marchés mondiaux.
La question n’est désormais plus de renforcer la position de l’UE dans le monde mais de la restaurer. Or, l’euro a préservé sa crédibilité par son équivalence avec le deutschemark et c’est par la consolidation de la monnaie unique qu’il faudra repartir. Pour faire entendre sa voix, l’UE n’a d’autre alternative que de donner la priorité à la sortie de la crise financière, économique et sociale et à la consolidation de la monnaie unique. Pour y parvenir, une plus grande intégration politique est nécessaire. Un partage plus important de la souveraineté monétaire, économique, fiscal et social supposera de veiller également à renforcer la légitimité démocratique dans l’Union européenne.
Sur le plan de l’influence et du rôle politique de l’UE dans le monde, beaucoup d’espoir était né après la signature du traité de Maastricht qui institutionnalise la Politique étrangère et de sécurité commune. Ce traité était un acte politique qui donnait une réponse au bouleversement du continent européen : chute de l’Union soviétique, démocratisation des pays d’Europe centrale et orientale, des Balkans, de l’Europe de l’Est et réunification allemande pour ne citer que les principaux. Il était la révélation de la puissance d’attraction qu’exerçait l’Europe en marche.
Ce traité qui fixait des objectifs propres à la Politique extérieure de l’UE a été enrichi par d’autres jusqu’à celui de Lisbonne qui englobe dans son art. 21 les objectifs de l’action extérieure de l’UE. A titre d’exemples mentionnons:

·   la sauvegarde de ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance, son intégrité;
·     consolider et soutenir la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et les principes de droit international;
·      préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale. Vaste programme !
Rien que ces trois objectifs de l’article du traité traduisent la très forte ambition que les Etats membres octroient à l’UE. Force est de constater que plus de 20 ans après, les résultats sont bien maigres et très éloignés des aspirations énoncées.
Il est vrai que la Politique extérieure et de sécurité commune fut créée à l’aube des déchaînements de violence qui allaient caractériser l’après-guerre froide : épuration ethnique en ex-Yougoslavie, génocide au Rwanda, reprise des hostilités israélo-palestiniennes sur les ruines des attentats du 11 septembre, guerre d’Irak et plus récemment les guerres en Libye, en Syrie et au Mali. Dans tous ces conflits, l’UE fut le plus souvent impuissante, absente ou encore spectaculairement désunie comme en Irak ou lors des opérations militaires en Libye.
Le bilan est donc bien négatif. Il révèle avant tout les divergences entre les Etats membres sur la nécessité, les objectifs et le contenu d’une Politique extérieure pour l’Union européenne. Ce bilan révèle aussi la préférence des Européens pour des engagements institutionnels et des organigrammes compliqués, pour des subtilités juridiques sans effets opérationnels – notamment l’abstention constructive – et pour une diplomatie essentiellement déclaratoire, illustrée par de nombreuses positions communes au Conseil de l’UE et d’innombrables conclusions du Conseils européens sur les grandes crises internationales.
Le principal enseignement est que l’insuffisance des capacités opérationnelles de l’Union comme de la plupart des Etats membres, la prédominance de la procédure intergouvernementale et la lourdeur des procédures de prise de décision rendent impossible la réalisation des ambitions affichées dans les traités. Il existe donc un vrai risque de marginalisation de l’UE sur la scène internationale, seuls subsisteraient encore les principaux Etats membres, mais pour combien de temps ?

Les atouts existants

Malgré cette perte d’influence sur les plans économique et politique, il est incontestable par ailleurs que l’UE en tant que telle possède de nombreux atouts pour exercer un rôle certain dans les affaires du monde.
La première considération est que l’UE existe et pèse dans le jeu mondial lorsqu’elle est unie à travers notamment sa politique commerciale, sa politique de concurrence et les normes qu’elle définit pour le premier marché du monde.
Pour un temps encore première puissance économique, elle dispose de la deuxième monnaie au niveau mondial et d’un espace où 500 millions de citoyens détiennent globalement un niveau de vie élevé et un modèle social envié dans le monde entier.
Sur le plan démographique, si la population européenne stagne et vieillit, elle n’est pas la seule. En 2050, l’UE sera toujours plus peuplée que les USA, se situant, comme actuellement, au 3ème rang mondial derrière l’Inde et la Chine. L’UE attire d’importants flux migratoires, elle fournit et accueille les principaux flux touristiques de la planète.
Membre du G8 et du G20, elle est le premier pourvoyeur d’aide sur le plan mondial et s’impose comme un acteur clé du développement du Sud. Le consensus en matière de coopération engage les Etats membres sur un socle de valeurs et de principes communs. Elle a de plus à sa disposition un des plus efficaces instruments de secours humanitaire à l’échelle planétaire avec l'Office Humanitaire des Communautés Européennes (ECHO).
« Last but not least », l’UE est source de création culturelle puissante et influente. Elle représente, pour une large part de l’humanité, un modèle de démocratie, de stabilité et de solidarité.

Des instruments à disposition

Au-delà de ces réalités incontestables, l’UE a à sa disposition une boîte à outils pour intervenir sur la scène mondiale qui est loin d’être négligeable et qui ne demande qu’à être mieux activée.
Il s’agit en premier lieu de ses instruments de politique des relations extérieures. Depuis de nombreuses années, cette politique mise en œuvre par la Commission a permis, grâce à des centaines d’accords internationaux, de développer des liens économiques et d’assurer une présence fiable et influente de l’UE dans une multitude de pays.
Servie par quelque 140 délégations dans les capitales du monde entier et auprès des principales organisations internationales, elle assure une présence certaine à travers ses diverses politiques communes. Nous avons déjà évoqué la politique commerciale ainsi que l’aide au développement, toutes deux essentielles. Mention doit aussi être faite des dimensions externes des politiques de l’environnement, de l’agriculture et de la pêche, des transports, de l’énergie, de la recherche et développement, et de migration.
Le traité de Lisbonne a eu comme conséquence d’assurer une mutation de ces délégations : elles ne sont plus les délégations de la Commission européenne mais celles de l’Union européenne et exercent de nouvelles compétences de politique extérieure sous l’autorité du nouveau Service d’action extérieure et du Haut Représentant/Vice-président de la Commission. Nous avons donc là une administration qui agit et met en œuvre des accords internationaux qui constituent la substance active de la diplomatie européenne. L’octroi à ces chefs de délégation de la représentation exclusive de l’UE donne à celle-ci une meilleure visibilité et une plus grande efficacité d’action.
Dans la boîte à outils à la disposition de l’UE existent aussi de nombreuses prérogatives et instruments de la PESC et de la PESD - ajoutés depuis le traité de Maastricht et dans les traités ultérieurs jusqu’à celui de Lisbonne - qui ne demandent qu’à être mieux activés.
Sur la base de ces traités, plusieurs avancées se sont produites. Sans vouloir être exhaustif, il est bon de rappeler – à titre d’exemple – les accords de « Berlin Plus » et le sommet de l’OTAN à Washington en 1999 qui mettent à disposition de l’UE des moyens et capacités de l’OTAN, notamment en matière de planification pour des opérations dans lesquelles l’Alliance n’est pas impliquée (Opération ALTHEA en Bosnie en 2009).
Rappelons aussi les décisions du Conseil Européen d’Helsinki de décembre 1999 qui permettent de déployer des forces militaires pouvant atteindre 50.000 à 60.000 personnes. Il établit un niveau élevé d’ambition: celui de permettre à l’Union de rester sur le théâtre de crise aussi longtemps que nécessaire. Même s’il n’a pas été mis en œuvre, ce projet a le mérite d’exister.
Evoquons enfin le traité de Lisbonne qui permet au Conseil de confier à un groupe d’Etats membres la réalisation d’une mission permettant de donner un mandat officiel à ceux qui disposent de moyens. Ce traité met en place aussi des mécanismes permanents de coopération structurée en matière de défense, plus souples que celui des coopérations renforcées.
Comme nous l’avons constaté, le bilan est maigre et la potentialité de toutes ces avancées et outils à disposition a été très peu exploitée. Les raisons en sont essentiellement politiques, l’UE n’étant pas à même aujourd’hui de développer une véritable politique extérieure. L’UE ne sera sans doute jamais une puissance classique avec une politique étrangère et une politique de défense unifiée. Jacques Delors a indiqué à plusieurs reprises que l’élaboration d’une politique extérieure et de sécurité commune exigerait encore une longue maturation intellectuelle et politique.

Avancées nécessaires et possibles

Stratégie européenne de sécurité

La première priorité pour les prochains responsables européens sera celle de proposer, de faire approuver et de mettre en œuvre une stratégie européenne de sécurité fixant les priorités en matière de politique extérieure et de présence de l’UE dans le monde.
Nous ne partons pas de zéro. La stratégie européenne de sécurité définie en 2003 est la première tentative des Européens de penser leur environnement stratégique et de dégager quelques priorités fondamentales pour leur politique extérieure : attachement au multilatéralisme, priorité au voisinage de l’Union qui répond à une vision géopolitique, et volonté de s’investir dans une gestion à la fois civile et militaire des crises.
Ce texte a maintenant plus de dix ans. L’Union devrait se lancer dans un nouvel exercice conceptuel en actualisant le texte de 2003 alliant politique extérieure communautaire et action diplomatico-militaire. La vision et la stratégie sont des données et éléments indispensables pour rendre crédible l’action européenne à l’extérieur et pour renforcer la cohérence et la confiance entre Etats membres. Il faut redéfinir ce projet commun qui ne sera pas le dépassement des Etats membres pour une Union européenne westphalienne mais dans lequel les interdépendances, les solidarités acceptées parce que nécessaires à notre survie supplantent celles des divisions. Il n’y a aucune raison que ce qui avait été possible de réaliser sous l’impulsion de Javier Solana ne puisse être actualisé et renouvelé. L’avantage serait de clarifier les enjeux, ou de faire comprendre quels sont les risques et les dangers, d’affiner des priorités d’action. La visibilité de l’action de l’UE pour ses citoyens et à l’extérieur serait grandement améliorée. Alors au travail !
La tâche reste ardue car il s’agit de démontrer de façon concrète en quoi les intérêts des peuples européens et leurs valeurs sont menacés, mais surtout quelles stratégies et actions permettraient de mieux répondre à ces menaces et ainsi de mieux défendre nos intérêts. Les récents et graves événements en Ukraine ne font qu'accentuer la nécessité  de réaliser un tel exercice.

Meilleure utilisation de la boîte à outils existante : le rôle du Haut Représentant

Puisque des réformes et ajustements institutionnels de grande ampleur sont difficilement envisageables à l’heure actuelle, le progrès dans la réflexion et la maturation d’une politique extérieure ne pourrait venir que d’une meilleure utilisation des compétences et des instruments existants. A titre d’exemple, je développerai la voie qui me semble porteuse de résultats probants. Il s’agit des possibilités offertes par le traité de Lisbonne concernant le Haut Représentant et ses prérogatives. 
Les innovations apportées par le traité de Lisbonne, notamment les prérogatives du Haut Représentant et la création du Service d’action extérieure, n’ont pas produit les effets escomptés. Il est urgent que dans un avenir proche des progrès soient réalisés. Cela est possible. Rappelons que le Haut Représentant est vice-président de la Commission et, qu’à ce titre, il est à même d’assurer une meilleure coordination des politiques communautaires dans leur traduction extérieure. Beaucoup reste à faire – et peut être fait – pour assurer une présence plus cohérente et coordonnée de ces politiques à l’extérieur de nos frontières.
Le Haut Représentant préside par ailleurs le Conseil des ministres des Affaires étrangères. Cette prérogative et responsabilité permet de diriger les travaux de ce Conseil pendant cinq ans, et donc de mettre en œuvre une feuille de route dégageant les sujets devant faire l’objet de discussions pendant la période. Le but étant de préparer des positions communes alimentant une doctrine et une identité européenne sur certains thèmes d’intérêt pour tous. Serait-il si difficile d’établir une position commune afin d’aboutir à une stratégie avec la Russie de M. Poutine ou nos rapports futurs avec l’Afrique ? Nombreux sont les sujets où l’UE pourrait à moindre frais élaborer et fixer une position propre. Cela aurait l’avantage de dégager une doctrine, de consolider son identité et d’améliorer sa visibilité et sa compétence extérieure. Pourquoi ne pas prendre l’initiative de réunir les Etats membres les plus opposés sur certains sujets afin d’essayer, en dehors des réunions à 28, de dégager des voies de rapprochement et, qui sait, de consensus. 
Il est évident que pour ces tâches de coordination des politiques de la Commission européenne (dans leur dimension extérieure), de présidence du Conseil des ministres ou d’exercice de ses compétences dans le domaine de la PESC/PESD, le Haut Représentant doit, pour améliorer son efficacité et son influence, pouvoir compter sur un service extérieur plus indépendant de l’action des Etats membres et de la Commission européenne. Pour ce faire, il y a lieu de donner au Haut Représentant la réelle coordination des services qui participent à l’action extérieure de l’Union. Voilà donc un domaine où des progrès sont possibles pour autant que l’on soit capable d’utiliser pleinement les outils existants.

Reconsidérer certaines approches

L’UE et ses voisins

La politique d’élargissement demeure l’un des principaux outils de l’introuvable « politique étrangère et de sécurité ». Cette politique a d’ores et déjà permis à l’UE de contribuer à la stabilité et au développement économique de nombre de ses voisins et est, à ce titre, vecteur de grande influence pour l’UE. Si la perspective d’adhésion ne saurait constituer l’unique instrument de la politique européenne de « bon voisinage », il est utile de souligner qu’elle n’a pas encore épuisé toutes ses vertus politiques.
Certes, la stratégie d’élargissement de l’UE doit être revue sur plusieurs points. Elle sera d’autant plus efficace et légitime qu’elle sera ajustée d’un point de vue juridique, social et politique. Face à une certaine naïveté et précipitation politique qui ont prévalu lors des dernières adhésions, il s’agit désormais d’assortir l’exercice de l’élargissement d’un contrôle plus strict des conditions imposées aux candidats tant au moment des négociations que lors de leur mise en œuvre. Il est impératif de s’assurer notamment de la capacité des nouveaux pays de faire fonctionner et respecter l’état de droit garant des libertés publiques.
S’il est probable qu’aucune nouvelle adhésion ne puisse, pour des raisons essentiellement politiques, se concrétiser dans les prochaines années, il convient de laisser ouverte cette voie en recherchant à définir une position de l’UE sur les frontières externes de l’Europe afin d’éviter une fuite en avant sans limites.
Tout comme les révolutions de l’Est au cours de ces dernières années, le printemps arabe a conduit à renforcer l’un des autres « piliers » de la politique extérieure, à savoir « la politique de voisinage ». Rappelons qu’elle a été consacrée par le traité de Lisbonne au rang de politique commune. Lancée au début des années 2000, son bilan est aujourd’hui plus que mitigé. Elle était censée attirer les voisins du Sud et de l’Est sur base d’accords liés à des valeurs partagées leur permettant d’améliorer leur vie démocratique et d’assurer une plus grande intégration économique avec le marché intérieur. Force est de constater que nous en sommes loin. Mais cela tient plus du fait des bouleversements internes de ces pays que des échecs de la politique de voisinage. De nombreux pays partenaires font face à de sérieuses crises aux dimensions politiques, économiques, sociales, sécuritaires voire humanitaires – que ce soit au Sud avec la Syrie, l’Egypte, la Libye ou la Tunisie, ou à l’Est avec l’Ukraine, la Géorgie, etc.
Une grande partie de ces pays n’a plus d’appétit pour un rapprochement avec l’UE, soit pour des raisons idéologiques liées souvent à l’éloignement des valeurs de l’Occident, soit parce qu’elle n’y voit pas d’avantages suffisamment tangibles, soit encore, à l’exemple de l’Ukraine, parce qu’elle est profondément divisée entre partisans du rapprochement avec l’UE et ceux qui veulent une plus grande proximité avec la Russie. Les objectifs mêmes de la politique européenne de voisinage, fondée sur le partage de valeurs, semblent de plus en plus souvent remis en cause.
Malgré ces limites, il n’en reste pas moins que les relations de l’UE avec ses voisins restent prioritaires. Il y a donc lieu de réorienter cette politique qui doit passer impérativement par la définition de positions moins ambigües et plus claires sur nos relations avec deux partenaires essentiels et incontournables que sont la Russie et la Turquie.
Une des tâches prioritaires du nouveau Haut Représentant/Vice-président de la Commission vis-à-vis des voisins de l’UE sera de proposer aux Etats membres une nouvelle stratégie globale qui soit plus ferme et réaliste, qui prenne mieux en compte la défense de nos intérêts tout en permettant de rendre l’Union européenne plus attractive. Là encore l’UE n’est pas démunie de solides cartes sur les plans économique et politique pour autant que les Etats membres comprennent et acceptent les efforts à entreprendre pour la meilleure défense à terme de leurs intérêts.

Accord commercial avec les Etats-Unis

Si la bataille de l’emploi restera l’un des défis majeurs de l’UE, il faut savoir que son sort dépendra en bonne partie de la capacité de l’Union à développer sa politique commerciale extérieure au bénéfice de ses intérêts et de ses besoins.
Dans ce contexte, la décision de négocier un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) avec les Etats-Unis est une initiative majeure puisqu’il n’existe pas d’accord équivalent entre deux partenaires de poids économiques similaires et aussi importants. Ensemble, l’UE et les Etats-Unis représentent un peu moins de la moitié de l’économie mondiale et le commerce entre les deux partenaires couvre 30% des échanges mondiaux.
L’importance d’une telle négociation tient en particulier à ce qu’au-delà des enjeux classiques d’un accord de libre échange (réduction des tarifs douaniers, investissements, restriction des subventions), le projet concerne les barrières non tarifaires. Cet enjeu décisif entraînerait la réduction des écarts de réglementation qui, en facilitant le fonctionnement des chaînes de production multinationales, aurait beaucoup plus d’impact sur l’accroissement des échanges commerciaux que les seules réductions des droits de douane.
La façon dont l’UE mène cette négociation et la portée de l’accord qui serait signé durant la prochaine législature européenne seront décisifs d’un point de vue économique aussi bien que géopolitique. Par ailleurs, cela devrait inciter les Européens à se montrer ambitieux dans la promotion de la régulation de la convergence réglementaire à l’échelle internationale au-delà des Etats-Unis.
Le défi ultime à relever pour l’UE sera de prendre appui sur la négociation du TTIP et sur une stratégie d’engagement actif avec les nouvelles puissances économiques afin de défendre l’attribution à l’OMC d’une compétence de surveillance de la convergence réglementaire. Cela permettrait d’inscrire la convergence réglementaire dans un cadre multilatéral.
Ce qui est en jeu c’est aussi le renforcement de la gouvernance mondiale pour favoriser la coopération sur les enjeux environnementaux, la propriété intellectuelle, la promotion des droits de l’homme ou encore la sécurité alimentaire.

La sécurité énergétique

Un autre domaine où l’UE doit et peut enregistrer des progrès sur le plan de sa politique extérieure est celui de l’énergie. La dépendance de l’UE vis-à-vis de l’extérieur pour ses approvisionnements en énergie n’a fait que s’accroître ces dernières années. L’UE importait déjà 54% de ses besoins énergétiques en 2006 et ses importations passeraient à 67% en 2030. Alors que la plupart des Etats d’Europe occidentale ont un approvisionnement relativement bien diversifié sur le plan géographique, d’autres – principalement parmi les Etats membres d’Europe centrale et orientale mais pas seulement – demeurent totalement ou majoritairement dépendants d’une seule et même source, à savoir la Russie. Dès lors, l’énergie apparaît non seulement comme un enjeu de compétitivité et de développement durable mais également, et de façon croissante, comme un enjeu de politique étrangère. Dans ce contexte, la sécurité des approvisionnements revêt une importance cruciale pour les Européens.
La diversification des sources d’approvisionnement est un élément clé de la réponse. Il semble dès lors essentiel que les opérateurs industriels poursuivent leur recherche de nouveaux champs, comme ils le font en Afrique par exemple. Il est également nécessaire que l’UE puisse parler d’une seule voix sur la scène énergétique internationale en nouant des partenariats utiles avec les pays fournisseurs et de transit en dehors des frontières de l’UE, et en recherchant les accords les plus favorables pour l’ensemble de l’UE. Cela implique également le développement d’interconnexions afin de pouvoir mettre en commun certaines capacités d’approvisionnement. La réussite d’un tel projet illustrerait une avancée majeure de la politique extérieure commune.
Par ailleurs, l’UE pourrait également adopter une démarche plus ferme afin d’utiliser au mieux les nombreux instruments et politiques d’action extérieure dont elle est dotée. Ainsi, il s’agirait principalement de mettre en perspective la politique de voisinage aussi bien à l’Est qu’au Sud, les partenariats stratégiques, en priorité avec la Russie, mais aussi la politique d’élargissement, notamment avec la Turquie, ou encore la politique de développement, en particulier en Afrique subsaharienne. L’UE aurait en outre intérêt à poursuivre l’insertion systématique, lorsque cela est nécessaire, d’objectifs énergétiques dans ses politiques externes. Voilà une tâche décisive pour la prochaine Commission et le nouveau Service d’Action extérieure.

Approche pragmatique dans la Politique de sécurité et de défense commune

La Politique de sécurité et de défense commune n’a pas été conçue pour engager l’UE dans la course à la puissance militaire dans laquelle se lancent les nouvelles puissances économiques. La part des dépenses de défense du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) est passée de 8 à 13,5% entre 2001 et 2011, contre une baisse de 30 à 18% pour les Européens, alors que les Etats-Unis se maintiennent à 41%.
Mais l’ancienne dichotomie entre défense territoriale et intervention extérieure n’existe plus. La plupart des nouveaux risques et des nouvelles menaces sont diffus et doivent être traités en dehors des frontières de l’UE. L’instabilité de la périphérie de l’UE, en particulier au Sud, exige plus d’anticipation stratégique et une capacité de réaction plus rapide. Cela d’autant plus que l’on assiste à une volonté de désengagement des Etats-Unis de la zone pour se concentrer prioritairement sur l’Asie.
Malgré ses faibles résultats, le Conseil européen de décembre 2013 a adopté la bonne méthode. Il a en effet évité l’écueil des grandes déclarations ambitieuses en se concentrant sur des objectifs et des programmes spécifiques, comprenant, entre autres, un agenda raccourci de 18 mois avant le prochain rendez-vous en juin 2015. Les principales avancées concernent :
1. Les capacités militaires : création d’un club d’utilisateurs des drones américains, engagement pour la fabrication de drones européens, développement de la capacité de ravitaillement au sol, etc. ;
2. L’industrie européenne : mention de l’autonomie stratégique avec pour objectif de ne pas dépendre de l’extérieur pour, entre autres, l’entretien et les pièces détachées des installations du secteur industriel ;
3. L’étude de la question du financement des opérations extérieures ;
4. La volonté d’actualiser la stratégie européenne de sécurité à la lumière des nouvelles menaces et priorités.
Comme le soulignait récemment Etienne Davignon, l’alternative de l’Europe de la défense ou de l’OTAN est dépassée. Les capacités de l’OTAN ne seront pas suffisantes pour traiter les enjeux de sécurité qui se manifestent dans le Sud et l’Est méditerranéen, ainsi que dans le Sahel. Il y a donc lieu de déterminer quelles sont les instances collectives de gestion de crises qui peuvent contribuer à stabiliser le Sud. Il faut ainsi clarifier la répartition des tâches à l’intérieur de l’Union, notamment au sein de la Commission européenne, et adapter les règles communautaires dans un marché aussi particulier que celui de la défense.
Nous sommes évidemment encore loin des objectifs énoncés dans nos différents traités, mais l’urgence de certaines menaces devrait contribuer à prendre certaines décisions pour mettre en œuvre une politique des petits pas, qui est la seule possible aujourd’hui. Cette politique est indispensable si l’on veut sauvegarder une crédibilité minimale sur la scène internationale.

Conclusion

Si l’Europe a perdu de son influence dans les affaires du monde aussi bien sur les plans économique que politique, il n’en demeure pas moins qu’elle reste un acteur majeur et de poids.
La Politique extérieure de l’UE n’a pas répondu aux attentes qu’elle avait suscitées, mais force est de constater que l’UE dispose encore d’atouts et d’instruments nombreux pour faire face aux menaces actuelles et gagner du terrain.
Dans le long processus de maturation intellectuelle et politique évoqué par Jacques Delors, il existe aujourd’hui de réelles possibilités d’actions communes pouvant consolider et améliorer la présence de l’UE dans le monde et limiter cette perte d’influence.
Sans être exhaustif, nous avons présenté quelques voies où des progrès sont nécessaires et possibles: la stratégie européenne de Sécurité, une meilleure utilisation des outils et instruments, le rôle et l’action du Haut Représentant/Vice-président de la Commission, une nouvelle politique vis-à-vis des voisins, un approfondissement dans les domaines des Politiques commerciales et de l’énergie, et enfin une approche pragmatique de la Politique de sécurité et de défense.
Dans ce vaste chantier qui décidera en partie du renouveau ou du déclin de l’Europe, il apparaît plus que jamais indispensable que l’UE puisse s’appuyer sur une plus grande convergence des positions des Etats membres.
Le rôle des Etats membres est donc décisif mais aussi celui de leurs populations dans le choix de leurs dirigeants. A ce titre, les prochaines élections au Parlement européen constituent un rendez-vous d’une importance cruciale si l’on veut conforter une assemblée désireuse de plus d’Union. Le choix des prochains responsables à la tête des institutions européennes sera déterminant pour fixer le niveau d’ambition d’intégration des prochaines années.
Eneko Landaburu est actuellement Administrateur et Conseiller spécial du Président de « Notre Europe – Institut Jacques Delors ». Il a été Ambassadeur de l’UE au Maroc (2009 – 2013) ainsi que Directeur général de la Commission Européenne, DG Politique Régionale, Elargissement, Relations Extérieures (1986– 2009).