LA CHUTE D´EIKE BATISTA
De "Le Monde", 09/07/13
Par Nicolas Bourci
Jamais le Brésil
n'avait connu telle ascension. Ni chute aussi brutale. Il y a dix ans,
Eike Batista n'était encore connu que pour son mariage avec la
resplendissante actrice Luma de Oliveira et les activités de son père
Eliezer Batista, ex-ministre de l'énergie et ancien patron du géant des
mines Vale. "Eike", ce jeune milliardaire bien né, surdoué de la
finance, belle gueule, fantasque qui allait vivre en quelques années un véritable conte de fées, comme l'écrira le magazine économique Exame.
L'homme devenu en 2011 le plus riche d'Amérique du Sud n'annonça pas seulement qu'il allait se hisser au premier rang des fortunes mondiales. Eike Batista prétendit également incarner l'émergence économique du Brésil moderne, conquérant et vainqueur.
En 2012, il passe à la 7e place du classement des hommes les plus riches de la planète.
Son ascension fulgurante, qu'il doit aux mines d'or et de fer qu'il
achète et revend, devient une obsession nationale, un sujet de
conversation dans les bars, l'objet d'études universitaires. Sur Twitter@eikebatista, il compte d'ailleurs plus de 1,3 million de suiveurs.
Sous la présidence Lula (2003-2010), il étend son empire avec l'aide de la banque publique brésilienne qui lui prêtera jusqu'à 4 milliards de dollars (environ 3,1 milliards d'euros). "J'ai un truc spécial avec la nature. Partout où je creuse, je trouve toujours quelque chose", disait-il pour expliquer ses succès en matière d'explorations minières. Depuis un an, et plus encore ces dernières semaines, Eike Batista tombe surtout sur des os.
DESCENTE AUX ENFERS
Les actions de son groupe ne représentent plus aujourd'hui qu'une
fraction de ce qu'elles valaient il y a quelques mois. Les six entreprises d'Eike Batista cotées en Bourse – dont LLX (logistique), MMX (minerai et sidérurgie), MPX (énergie) ou OSX (industrie navale et offshore), toutes coiffées par la holding EBX – ses initiales plus le X, qui représente, explique-t-il, "la multiplication des richesses" – ont toutes perdu entre 45 % et 95 % de leur valeur.
OGX (pétrole),
l'entreprise phare du groupe, a vu sa valeur amputée de 90 % en douze
mois. L'action se négociait encore à 1,4 real début juin avant de sombrer
autour des 0,4 real mercredi 3 juillet, son plus bas historique.
L'agence de notation Standard & Poor's a rétrogradé OGX de B– à CCC,
un niveau proche du défaut de paiement.
Dans ce contexte, Eike Batista a dû abandonner, jeudi 4 juillet, le conseil d'administration de l'entreprise de production d'énergie MPX créée en 2001. L'action venait de perdre 33 %.
La Bourse de Sao Paulo subissait, elle aussi, l'"effet X",
selon les titres de la presse économique, et avait accusé mardi une
baisse brutale de 4,2 %, la plus forte contraction depuis la fin 2011.
Les raisons de cette descente aux enfers sont multiples. Selon l'un
des proches d'Eike Batista, cité par le quotidien économique Valor, l'homme d'affaires a commis des erreurs "gravissimes" en
donnant des primes à ses directeurs avant même qu'ils ne livrent leurs
projets et n'atteignent leurs objectifs. Une sorte de cavalerie sans
fin, reposant sur la confiance que portent les investisseurs au
flamboyant milliardaire et à ses équipes. Mais cette confiance aura été
mise à mal dès le premier avis de tempête.
MANQUE DE PERSPECTIVES
L'interdépendance des entreprises d'OGX est elle aussi pointée du
doigt. Elle s'avère dommageable pour l'ensemble du groupe si l'un de ses
piliers vient à faillir. Ainsi, lorsqu'en juin 2012, Paulo Mendoza,
directeur général d'OGX, annonce que les objectifs de production de
pétrole ne seront pas atteints, c'est tout l'édifice qui se fissure. Son
éviction n'y changera rien.
En 2011, le groupe avait annoncé pouvoir extraire 20 000 barils par jour. En février 2013, la production passe de 6 000 à 3 800 barils. Idem pour MMX : après avoir assuré que 37 millions de tonnes de minerais de fer seraient produits par an, le groupe peine aujourd'hui à en extraire 7,4 millions.
En mars 2013, Eike Batista a été rétrogradé à la 100e place du classement Forbes. Sa fortune estimée à 34,5 milliards de dollars en mars 2012 ne s'élève plus qu'à 4,8 milliards.
L'Etat, qui avait placé EBX au rang de priorité nationale, pour ses
effets sur le développement industriel du pays, semble aussi prendre
quelques distances. Confronté à une fronde sociale et un net
ralentissement de la croissance, le gouvernement sait qu'il aura du mal à
soutenir ce membre éminent de l'élite économique, elle-même critiquée par le mouvement de contestation de ces dernières semaines.
Même si de nombreux analystes excluent une fin du groupe X, selon le principe du "too big to fail" (trop gros pour faire faillite), la plupart pointent le manque de perspectives pour sortir de la crise actuelle. Un comble pour celui qui disait toujours "trouver quelque chose"
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Une dette cumulée de 2,05 milliards d'euros
La holding EBX chapeaute six entreprises, accuse une dette cumulée de 6 milliards de reais (2,05 milliards d'euros).
MMX (minerai et sidérurgie) L'entreprise valait 18,2 milliards de reais en juin 2008, elle en vaut aujourd'hui 1,6 milliard.
OGX (pétrole) Introduite en Bourse en juin 2008 pour 35,7
milliards de reais, elle valait 75,2 milliards en août 2010. Sa valeur
est désormais de 3 milliards, avec 51 900 actionnaires.
MPX (énergie) Eike Batista vient d'en abandonner le conseil
d'administration. MPX a annoncé, le 4 juillet, une augmentation de
capital de 800 millions de reais, près de la moitié apportés par
l'allemand E.ON qui détient 36 % de l'entreprise et le reste par la
Banque brésilienne BTG Pactuel.
OSX (industrie navale et offshore) Valorisée 9 milliards en mars 2010, l'entreprise est passée à 494 millions de reais.
LLX (logistique) Après avoir été valorisée en Bourse au plus
haut 7,5 milliards de reais en septembre 2010, elle ne vaut plus
aujourd'hui que 868 millions.
CCX (minerai) Introduite en Bourse à 1,4 milliard de reais en mai 2012, la filiale est estimée aujourd'hui à 187 millions.