Qui sont les Chabab, à l'origine du massacre de Garissa, au Kenya ?
Le massacre du campus de Garissa, jeudi 2 avril, qui a coûté la vie à cent quarante-huit personnes, dont cent quarante-deux étudiants, a marqué le retour en force des Chabab somaliens. Près de deux ans après l'attaque sanglante du centre commercial Westgate de Nairobi, au Kenya, en septembre 2013, qui avait fait soixante-sept morts,
le groupe islamiste a revendiqué l'acte le plus meurtrier dans le pays
depuis l'attentat de l'ambassade américaine par Al-Qaida en 1998.
Après cette attaque se pose de nouveau la question de l'identité de
ces combattants rattachés à Al-Qaida. Originaires de Somalie, un pays en
proie à une guerre civile qui dure depuis une vingtaine d'années, de
quelle influence disposent les Chabab ? Combien de combattants
comptent-ils dans leurs rangs ? Pourquoi ce groupe armé s'en prend-il au
Kenya voisin ?
Lire : Le Kenya pleure ses enfants
- Qui sont les Chabab ?
Le groupe islamiste Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin (qui signifie
« Mouvement de la jeunesse des moudjahidin »), plus connu sous le nom de
Chabab (« la jeunesse »), apparaît en Somalie en 2006, dans le
sillage de l'Union des tribunaux islamiques, qui contrôle alors
Mogadiscio et y impose la charia.
Lorsque les troupes éthiopiennes pénètrent en Somalie pour renverser
l'Union des tribunaux islamiques et apporter leur soutien au
« gouvernement fédéral de transition » du président Abdullahi Yusuf
Ahmed, les Chabab servent de branche militaire radicale à l'Union des
tribunaux islamiques.
C'est dans cette lutte contre les forces éthiopiennes que les Chabab
s'imposent progressivement. Ils prennent de l'ascendant, avant de
devenir un groupe puissant. L'Ethiopie retire finalement ses troupes du
pays à la fin de l'année 2008, laissant la force de paix de l'Union
africaine (UA) en première ligne face à l'insurrection islamiste. Les
Chabab adhèrent à la vision salafiste de l'islam. Leur objectif est
d'instaurer un Etat fondé sur la charia.
Le groupe s'est également lié avec Al-Qaida par l'intermédiaire de
certains responsables de l'organisation à travers ses cellules en
Afrique orientale. Les liens entre les Chabab et l'organisation
djihadiste n'auront de cesse de se renforcer jusqu'en 2009, date à
laquelle le mouvement armé somalien lui prête explicitement allégeance.
Lire notre décryptage : Les Chabab, une milice divisée au pouvoir de nuisance durable
- Qui les dirige ?
En septembre, les Chabab ont nommé un nouveau chef, Ahmed Umar Abou Oubaïda,
après avoir confirmé la mort de leur chef suprême, Ahmed Abdi « Godane
», tué par une frappe américaine. Ils ont également renouvelé à cette
occasion leur allégeance à Ayman Al-Zaouahiri, chef du réseau terroriste
Al-Qaida.
Ahmed Umar Abou Oubaïda a enseigné dans des écoles coraniques à
Jamaame, puis dans le port de Kisimayo, avant de s'engager dans les
rangs des Chabab et d'y diriger notamment les opérations de
renseignement.
- Qui forment leurs rangs aujourd'hui ?
Leurs effectifs sont estimés entre cinq mille et neuf mille hommes,
selon les sources. Parmi eux, des locaux favorables à l'application de
la charia, mais aussi des combattants islamistes étrangers, venus
notamment de pays arabes et du Pakistan (entre sept cents et huit cents
combattants, selon les sources).
Les auteurs du massacre de l'université de Garissa s'exprimaient en
swahili (une langue méprisée par de nombreux Somaliens). Selon le
ministère de l'intérieur, l'un des assaillants s'appelle Abdirahim
Mohammed Abdoullahi, diplômé de l'université de droit de Nairobi, fils
d'un chef local de Mandera, une ville de l'extrême-nord du Kenya
frontalière de l'Ethiopie et de la Somalie.
Son père avait déclaré sa disparition en 2014, le soupçonnant d'avoir
rejoint les Chabab. Cette information confirme que des Kényans
alimentent les rangs des djihadistes (un Tanzanien fait également partie
des cinq personnes arrêtées depuis jeudi par la police pour leur
implication présumée dans le massacre).
Lire notre reportage : A Garissa, la sidération après le massacre des étudiants
- Pourquoi ont-ils reculé en Somalie ?
Entre 2008 et 2011, les Chabab, qui ont absorbé quantité de petites
milices locales, parviennent à contrôler jusqu'aux deux tiers du
territoire somalien. La souveraineté du « gouvernement fédéral de
transition » se limite, elle, à quelques quartiers de Mogadiscio.
Mais la Mission de l'Union africaine en Somalie (African Union
Mission to Somalia, AMISOM), force de paix composée essentiellement
d'Ougandais et de Burundais, parvient au fil des mois à reprendre la
main. Elle profite notamment des divisions qui se font jour au sein des
Chabab, et de la défiance de la population après le refus des Chabab en
2011 d'accepter l'aide humanitaire pour lutter contre la sécheresse et
la famine.
Au fil des mois, les Chabab essuient donc une importante série de
revers : ils perdent Mogadiscio en août 2011, l'un de leurs bastions ;
la ville centrale de Baidoa, en août 2012 ; et, en septembre 2012, le
port de Kismaayo, poumon économique de la rébellion dans le sud du pays,
qui est libéré par les soldats kényans.
Lire (édition abonnés) : Les Chabab somaliens, facteur d’instabilité régionale
Considérablement affaiblis depuis 2011, les Chabab continuent
toutefois de contrôler de vastes zones rurales de Somalie, notamment
dans le Sud. Le chaos politique qui règne dans le pays permet également
aux Chabab de continuer à mener régulièrement des attaques dans les
villes, notamment à Mogadiscio.
- Pourquoi les Chabab s'en sont-ils pris au Kenya ?
Longtemps, le Kenya a tenté de garder ses distances avec son voisin,
de peur d'importer chez lui la guerre civile qui y faisait rage. Mais
pour la première fois, en octobre 2011, il intervient militairement dans le conflit en Somalie,
pour tenter d'éradiquer définitivement les Chabab, alors en perte de
terrain. Accusés d'avoir commis plusieurs enlèvements d'étrangers, ces
derniers menacent l'industrie touristique, deuxième source de devises du
pays.
L'objectif affiché de l'intervention kényane est d'instaurer une zone tampon pour empêcher les incursions des Chabab au Kenya. « Notre intégrité nationale est compromise par de graves menaces de terrorisme, nous ne pouvons pas tolérer que cela se produise, justifie alors le gouvernement kényan. Cela signifie que nous allons désormais poursuivre les ennemis, il s'agit des Chabab, où qu'ils soient. »
Lire notre analyse : La Somalie, théâtre des ambitions kényanes
C'est depuis cette incursion militaire que les insurgés Chabab, qui
estiment résister à une invasion étrangère, ne cessent de menacer le
Kenya de représailles et sont déjà passés à l'action à plusieurs
reprises.
Lire : Le Kenya, théâtre de nombreuses attaques terroristes
Les Chabab disent ainsi avoir perpétré la tuerie de Garissa pour
punir le Kenya de sa présence militaire en Somalie au sein de l'Amisom
(environ quatre mille hommes aujourd'hui). Ils ont proféré de nouvelles
menaces au cours du week-end, promettant de « nouveaux bains de sang » dans les villes du pays et le menaçant d'une « longue, épouvantable guerre ».
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