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Libye, lorsque nous vivions tous ensemble…
Après l’autorisation officielle en Libye de prendre une épouse supplémentaire en secondes noces sans l’avis de la première, le viol abject, la torture et la mort en Arabie saoudite d’une fillette de cinq ans,
tuée par son propre père toujours libre en toute impunité, l’assassinat
politique en Tunisie d’un farouche opposant aux islamistes au pouvoir,
le harcèlement sexuel quotidien en Egypte, la guerre civile en Syrie, la
liste épouvantable de l’incompréhensible et de l’inacceptable s’allonge
chaque jour un peu plus.
Spectateurs horrifiés et impuissants, nous assistons au second tome
de nos Printemps arabes. Une odeur nauséabonde. Un goût frelaté. Le
réveil brutal à une réalité où nous avons ce sentiment accablé d’avoir
été dupés et trompés sur une marchandise qui dévoile peu à peu ses
atours.
Depuis quelques jours en Libye, la communauté chrétienne −
minoritaire d’à peine 3% d’une population de 6,3 millions à majorité
musulmane sunnite − est très inquiète. Des tombes ont été profanées au
cimetière Italien de Tripoli où des ossements humains sont régulièrement
déterrés. En Cyrénaïque, une communauté de religieuses, présente depuis
près d’un siècle, a été contrainte de partir sous la pression et le
comportement hostile des fondamentalistes. « Nous sommes désolés de
devoir réduire nos activités dans cette zone parce que nous avons
construit un rapport très beau et très intense, fait de témoignage et
d’amitié, avec le peuple libyen qui malheureusement, ces derniers temps,
se ressent de la présence des fondamentalistes. Ces derniers ne
représentent pas l’identité du peuple libyen mais est l’une des
expressions de la société libyenne d’aujourd’hui », a déclaré Mgr Martinelli, vicaire apostolique de Tripoli.
Au-delà de la vergogne face à cette mauvaise tournure d’une
révolution qui fêtera sa deuxième année dans quelques jours, malgré mon
combat acharné à défendre l’image carbonisée, écornée, ébréchée de mon
pays natal, je m’interroge sur son passé chaotique composé
essentiellement d’invasions coloniales, une indépendance éclair et une
dictature de quatre décennies. Le futur de cette terre demeure un point
d’interrogation aussi vaste que ses limites géographiques tracées à la
règle. Un mystère auquel est confronté tout un peuple otage d’un
kidnapping généralisé. Une colonisation exclusivement constituée
d’hommes déterminés et manipulés par leur ignorance. Une vengeance
haineuse arbitraire, gratuite sans fondement précis envers les femmes,
les enfants, les statues, les fruits, les légumes, le ciel, le soleil,
les animaux, l’air, les nuages, la musique, les morts, les rires, la vie
cette offrande dont ils ne savent qu’en faire.
Mais d’où vient donc cette misère humaine si terrifiante qui se
propage à la vitesse d’une peste camusienne ? Pourrais-je un jour
oublier les histoires racontées par nos mères ou grands-mères ? Celles
de ces plats aux saveurs épicées ou sucrées échangées lors des fêtes
entre juifs, chrétiens et musulmans. Celles aussi d’un temps où dans les
préaux d’écoles toutes les confessions se croisaient sans se poser de
question. Des tomes entiers à rédiger afin que cette mémoire-là ne
sombre pas dans l’oubli étouffé par un obscurantisme effrayant.
Ce pays n’est plus le mien c’est un infidèle au chagrin difficile à apaiser.
Je finirai avec cette citation de l’écrivain Gilbert Sinoué : «Or
à partir du moment où tu acceptes de reconnaître ta douleur, ça va
beaucoup mieux. Je ne veux plus tricher : oui ça me manque, oui je ne me
sens plus nulle part chez moi. Je suis chez moi partout.»
Tahani Khalil Ghemati, architecte et écrivain libyenne, Beyrouth
La Libye invente « l'infidélité Hallal »
La chambre constitutionnelle de la Cour suprême en Libye vient de
franchir un pas décisif et crucial. Abolir l’interdiction de prendre une
deuxième épouse sans l’autorisation de la première. Ce qui est certain
dans ce type de résolution c’est qu’elle ne sera pas appliquée à la
lettre par faute de moyens financiers mais encouragera nos mâles à se
pavaner tels des paons pathétiques dans une basse-cour et mépriser leurs
épouses. Ils pourront la tromper sans en être importunés puisque c’est
halal tout cela. Quelle tristesse, hypocrisie et stupidité.
Ainsi des milliers de jeunes femmes, pour les prochaines décennies −
si cette loi n’est pas révoquée − devront subir le joug et la tyrannie
d’un homme à l’insatisfaction permanente. Je ne comprends pas ce
plaisir-là. C’est un procédé maquillé ouvrant les autoroutes des
tromperies avec la bénédiction d’Allah tout puissant.
Nous, les femmes libyennes, nous interrogeons sur la suite d’une
telle déclaration. Est-ce que la prochaine étape c’est le décret d’une
République islamique à l’instar de l’Iran ? Si nous voulons nous laisser
dériver au jeu de la provocation, lançons-nous franchement puisque
cette goutte nous pend au nez comme la morve d’un lardon auquel sa maman
n’a pas appris à se moucher. Soyons honnêtes et dignes une bonne fois
pour toutes et ainsi nous serons définitivement des sacs poubelles non
recyclables puisque remplacées au bon vouloir de ces hommes. Je n’ose
même pas imaginer l’éducation que ces derniers recevront ni dans quelle
ambiance de haine ils évolueront ni comment leur regard envers les
femmes se construira.
Ma pauvre Libye. Cela fait trop longtemps que mon chagrin d’exilée
s’éternise. Après le tsunami d’espoirs. Une révolution. Une guerre.
Quelques milliers de morts, de disparus, d’orphelins et de veuves.
Récemment le premier ministre britannique M. Cameron a déclaré lors
d’une visite surprise à Tripoli: « Nous sommes vos amis (...) Nous
voulons travailler avec vous, être à vos côtés pour bâtir une démocratie
prospère, sûre et stable ici en Libye». Il s’adresse à qui au
juste ? Aux sites pétroliers ? Au peuple libyen ? Aux femmes libyennes ?
Je suis affligée, indignée, écœurée par l’absence de neurones d’une
poignée de nigauds qui ne perçoivent les choses qu’à travers un
œil-de-bœuf au rétrécissement limité à une jouissance phallocrate.
Il est vrai que ce changement de loi était d’une urgence plus vitale
que la rédaction d’une constitution, que le respect des droits humains
élémentaires, que la mise en place d’une justice et le rétablissement de
la sécurité dans un pays devenu le Far West d’Afrique du Nord.
Ma pauvre Libye sur quel autel seras-tu sacrifiée ? Sur quel bûcher
les femmes libyennes brûleront-t-elles ? Victimes et otages d’un gang
amputé à la naissance d’une intelligence essentielle à toute
reconstruction fertile.
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