La place de l’Union européenne dans le monde
Eneko
Landaburu
Introduction
Absorbée par la crise de la dette, la fragilité de ses institutions
financières, le combat pour la croissance et contre le chômage, la montée des
populismes, l’Union européenne (UE) n’a pas réussi au cours de ces dernières
années à consolider ni encore moins à accroître son influence et son rôle sur
la scène internationale.
La question qui se pose donc aujourd’hui, à quelques semaines du grand
rendez-vous démocratique des élections au Parlement européen, est celle de
savoir – par rapport aux dures réalités et aux échecs passés – ce qui peut être
raisonnablement envisagé au cours de la prochaine législature pour assurer des
avancées significatives dans le domaine de la politique extérieure de l’Union.
Le déclin de l’Europe
Les raisons en sont bien connues. Mentionnons toutefois la dégradation
relative de son poids économique face à la forte croissance des pays émergents.
Ces puissances émergentes ont utilisé le levier du capitalisme de marché, dopé
par les techniques de l’information pour produire un développement économique
et social d’ampleur et de rapidité inconnues jusqu’alors, entraînant une forte
réduction de la pauvreté. Il s’en est donc suivi un grand basculement qui rebat
les cartes de la géopolitique mondiale.
L’Europe, qui a perdu une bonne partie de ses avantages technologiques
et qui doit assumer le coût élevé de son modèle social, est entraînée vers une
dégradation manifeste de sa compétitivité sur les marchés mondiaux.
La question n’est désormais plus de renforcer la position de l’UE dans
le monde mais de la restaurer. Or, l’euro a préservé sa crédibilité par son
équivalence avec le deutschemark et c’est par la consolidation de la monnaie
unique qu’il faudra repartir. Pour faire entendre sa voix, l’UE n’a d’autre
alternative que de donner la priorité à la sortie de la crise financière,
économique et sociale et à la consolidation de la monnaie unique. Pour y
parvenir, une plus grande intégration politique est nécessaire. Un partage plus
important de la souveraineté monétaire, économique, fiscal et social supposera
de veiller également à renforcer la légitimité démocratique dans l’Union
européenne.
Sur le plan de l’influence et du rôle politique de l’UE dans le monde,
beaucoup d’espoir était né après la signature du traité de Maastricht qui
institutionnalise la Politique étrangère et de sécurité commune. Ce traité
était un acte politique qui donnait une réponse au bouleversement du continent
européen : chute de l’Union soviétique, démocratisation des pays d’Europe
centrale et orientale, des Balkans, de l’Europe de l’Est et réunification
allemande pour ne citer que les principaux. Il était la révélation de la
puissance d’attraction qu’exerçait l’Europe en marche.
Ce traité qui fixait des objectifs propres à la Politique extérieure de
l’UE a été enrichi par d’autres jusqu’à celui de Lisbonne qui englobe dans son
art. 21 les objectifs de l’action extérieure de l’UE. A titre d’exemples mentionnons:
· la sauvegarde de ses valeurs, ses
intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance, son intégrité;
· consolider et soutenir la
démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et les principes de droit
international;
· préserver la paix, prévenir les
conflits et renforcer la sécurité internationale. Vaste programme !
Rien que ces trois objectifs de l’article du traité traduisent la très
forte ambition que les Etats membres octroient à l’UE. Force est de constater
que plus de 20 ans après, les résultats sont bien maigres et très éloignés des
aspirations énoncées.
Il est vrai que la Politique extérieure et de sécurité commune fut créée
à l’aube des déchaînements de violence qui allaient caractériser l’après-guerre
froide : épuration ethnique en ex-Yougoslavie, génocide au Rwanda, reprise des
hostilités israélo-palestiniennes sur les ruines des attentats du 11 septembre,
guerre d’Irak et plus récemment les guerres en Libye, en Syrie et au Mali. Dans
tous ces conflits, l’UE fut le plus souvent impuissante, absente ou encore
spectaculairement désunie comme en Irak ou lors des opérations militaires en
Libye.
Le bilan est donc bien négatif. Il révèle avant tout les divergences
entre les Etats membres sur la nécessité, les objectifs et le contenu d’une Politique
extérieure pour l’Union européenne. Ce bilan révèle aussi la préférence des
Européens pour des engagements institutionnels et des organigrammes compliqués,
pour des subtilités juridiques sans effets opérationnels – notamment
l’abstention constructive – et pour une diplomatie essentiellement
déclaratoire, illustrée par de nombreuses positions communes au Conseil de l’UE
et d’innombrables conclusions du Conseils européens sur les grandes crises
internationales.
Le principal enseignement est que l’insuffisance des capacités
opérationnelles de l’Union comme de la plupart des Etats membres, la
prédominance de la procédure intergouvernementale et la lourdeur des procédures
de prise de décision rendent impossible la réalisation des ambitions affichées
dans les traités. Il existe donc un vrai risque de marginalisation de l’UE sur
la scène internationale, seuls subsisteraient encore les principaux Etats
membres, mais pour combien de temps ?
Les atouts existants
Malgré cette perte d’influence sur les plans économique et politique, il
est incontestable par ailleurs que l’UE en tant que telle possède de nombreux
atouts pour exercer un rôle certain dans les affaires du monde.
La première considération est que l’UE existe et pèse dans le jeu
mondial lorsqu’elle est unie à travers notamment sa politique commerciale, sa
politique de concurrence et les normes qu’elle définit pour le premier marché
du monde.
Pour un temps encore première puissance économique, elle dispose de la
deuxième monnaie au niveau mondial et d’un espace où 500 millions de citoyens
détiennent globalement un niveau de vie élevé et un modèle social envié dans le
monde entier.
Sur le plan démographique, si la population européenne stagne et
vieillit, elle n’est pas la seule. En 2050, l’UE sera toujours plus peuplée que
les USA, se situant, comme actuellement, au 3ème rang mondial
derrière l’Inde et la Chine. L’UE attire d’importants flux migratoires, elle
fournit et accueille les principaux flux touristiques de la planète.
Membre du G8 et du G20, elle est le premier pourvoyeur d’aide sur le
plan mondial et s’impose comme un acteur clé du développement du Sud. Le
consensus en matière de coopération engage les Etats membres sur un socle de
valeurs et de principes communs. Elle a de plus à sa disposition un des plus
efficaces instruments de secours humanitaire à l’échelle planétaire avec
l'Office Humanitaire des Communautés Européennes (ECHO).
« Last but not least », l’UE est source de création culturelle puissante
et influente. Elle représente, pour une large part de l’humanité, un modèle de
démocratie, de stabilité et de solidarité.
Des instruments à disposition
Au-delà de ces réalités incontestables, l’UE a à sa disposition une
boîte à outils pour intervenir sur la scène mondiale qui est loin d’être négligeable
et qui ne demande qu’à être mieux activée.
Il s’agit en premier lieu de ses instruments de politique des relations
extérieures. Depuis de nombreuses années, cette politique mise en œuvre par la
Commission a permis, grâce à des centaines d’accords internationaux, de
développer des liens économiques et d’assurer une présence fiable et influente
de l’UE dans une multitude de pays.
Servie par quelque 140 délégations dans les capitales du monde entier et
auprès des principales organisations internationales, elle assure une présence
certaine à travers ses diverses politiques communes. Nous avons déjà évoqué la
politique commerciale ainsi que l’aide au développement, toutes deux
essentielles. Mention doit aussi être faite des dimensions externes des politiques
de l’environnement, de l’agriculture et de la pêche, des transports, de
l’énergie, de la recherche et développement, et de migration.
Le traité de Lisbonne a eu comme conséquence d’assurer une mutation de
ces délégations : elles ne sont plus les délégations de la Commission
européenne mais celles de l’Union européenne et exercent de nouvelles
compétences de politique extérieure sous l’autorité du nouveau Service d’action
extérieure et du Haut Représentant/Vice-président de la Commission. Nous avons donc
là une administration qui agit et met en œuvre des accords internationaux qui
constituent la substance active de la diplomatie européenne. L’octroi à ces
chefs de délégation de la représentation exclusive de l’UE donne à celle-ci une
meilleure visibilité et une plus grande efficacité d’action.
Dans la boîte à outils à la disposition de l’UE existent aussi de
nombreuses prérogatives et instruments de la PESC et de la PESD - ajoutés
depuis le traité de Maastricht et dans les traités ultérieurs jusqu’à celui de
Lisbonne - qui ne demandent qu’à être mieux activés.
Sur la base de ces traités, plusieurs avancées se sont produites. Sans
vouloir être exhaustif, il est bon de rappeler – à titre d’exemple – les
accords de « Berlin Plus » et le sommet de l’OTAN à Washington en 1999 qui
mettent à disposition de l’UE des moyens et capacités de l’OTAN, notamment en
matière de planification pour des opérations dans lesquelles l’Alliance n’est
pas impliquée (Opération ALTHEA en Bosnie en 2009).
Rappelons aussi les décisions du Conseil Européen d’Helsinki de décembre
1999 qui permettent de déployer des forces militaires pouvant atteindre 50.000
à 60.000 personnes. Il établit un niveau élevé d’ambition: celui de permettre à
l’Union de rester sur le théâtre de crise aussi longtemps que nécessaire. Même
s’il n’a pas été mis en œuvre, ce projet a le mérite d’exister.
Evoquons enfin le traité de Lisbonne qui permet au Conseil de confier à
un groupe d’Etats membres la réalisation d’une mission permettant de donner un
mandat officiel à ceux qui disposent de moyens. Ce traité met en place aussi
des mécanismes permanents de coopération structurée en matière de défense, plus
souples que celui des coopérations renforcées.
Comme nous l’avons constaté, le bilan est maigre et la potentialité de
toutes ces avancées et outils à disposition a été très peu exploitée. Les
raisons en sont essentiellement politiques, l’UE n’étant pas à même aujourd’hui
de développer une véritable politique extérieure. L’UE ne sera sans doute
jamais une puissance classique avec une politique étrangère et une politique de
défense unifiée. Jacques Delors a indiqué à plusieurs reprises que
l’élaboration d’une politique extérieure et de sécurité commune exigerait
encore une longue maturation intellectuelle et politique.
Avancées nécessaires et possibles
Stratégie européenne de sécurité
La première priorité pour les prochains responsables européens sera
celle de proposer, de faire approuver et de mettre en œuvre une stratégie
européenne de sécurité fixant les priorités en matière de politique extérieure
et de présence de l’UE dans le monde.
Nous ne partons pas de zéro. La stratégie européenne de sécurité définie
en 2003 est la première tentative des Européens de penser leur environnement
stratégique et de dégager quelques priorités fondamentales pour leur politique
extérieure : attachement au multilatéralisme, priorité au voisinage de l’Union
qui répond à une vision géopolitique, et volonté de s’investir dans une gestion
à la fois civile et militaire des crises.
Ce texte a maintenant plus de dix ans. L’Union devrait se lancer dans un
nouvel exercice conceptuel en actualisant le texte de 2003 alliant politique
extérieure communautaire et action diplomatico-militaire. La vision et la
stratégie sont des données et éléments indispensables pour rendre crédible
l’action européenne à l’extérieur et pour renforcer la cohérence et la
confiance entre Etats membres. Il faut redéfinir ce projet commun qui ne sera
pas le dépassement des Etats membres pour une Union européenne westphalienne
mais dans lequel les interdépendances, les solidarités acceptées parce que
nécessaires à notre survie supplantent celles des divisions. Il n’y a aucune
raison que ce qui avait été possible de réaliser sous l’impulsion de Javier
Solana ne puisse être actualisé et renouvelé. L’avantage serait de clarifier
les enjeux, ou de faire comprendre quels sont les risques et les dangers,
d’affiner des priorités d’action. La visibilité de l’action de l’UE pour ses
citoyens et à l’extérieur serait grandement améliorée. Alors au travail !
La tâche reste ardue car il s’agit de démontrer de façon concrète en
quoi les intérêts des peuples européens et leurs valeurs sont menacés, mais
surtout quelles stratégies et actions permettraient de mieux répondre à ces
menaces et ainsi de mieux défendre nos intérêts. Les récents et graves
événements en Ukraine ne font qu'accentuer la nécessité de réaliser un
tel exercice.
Meilleure utilisation de la boîte à outils existante : le rôle du Haut Représentant
Puisque des réformes et ajustements institutionnels de grande ampleur
sont difficilement envisageables à l’heure actuelle, le progrès dans la
réflexion et la maturation d’une politique extérieure ne pourrait venir que
d’une meilleure utilisation des compétences et des instruments existants. A
titre d’exemple, je développerai la voie qui me semble porteuse de résultats
probants. Il s’agit des possibilités offertes par le traité de Lisbonne
concernant le Haut Représentant et ses prérogatives.
Les innovations apportées par le traité de Lisbonne, notamment les
prérogatives du Haut Représentant et la création du Service d’action
extérieure, n’ont pas produit les effets escomptés. Il est urgent que dans un
avenir proche des progrès soient réalisés. Cela est possible. Rappelons que le
Haut Représentant est vice-président de la Commission et, qu’à ce titre, il est
à même d’assurer une meilleure coordination des politiques communautaires dans
leur traduction extérieure. Beaucoup reste à faire – et peut être fait – pour
assurer une présence plus cohérente et coordonnée de ces politiques à
l’extérieur de nos frontières.
Le Haut Représentant préside par ailleurs le Conseil des ministres des
Affaires étrangères. Cette prérogative et responsabilité permet de diriger les
travaux de ce Conseil pendant cinq ans, et donc de mettre en œuvre une feuille
de route dégageant les sujets devant faire l’objet de discussions pendant la
période. Le but étant de préparer des positions communes alimentant une
doctrine et une identité européenne sur certains thèmes d’intérêt pour tous.
Serait-il si difficile d’établir une position commune afin d’aboutir à une
stratégie avec la Russie de M. Poutine ou nos rapports futurs avec l’Afrique ?
Nombreux sont les sujets où l’UE pourrait à moindre frais élaborer et fixer une
position propre. Cela aurait l’avantage de dégager une doctrine, de consolider
son identité et d’améliorer sa visibilité et sa compétence extérieure. Pourquoi
ne pas prendre l’initiative de réunir les Etats membres les plus opposés sur
certains sujets afin d’essayer, en dehors des réunions à 28, de dégager des
voies de rapprochement et, qui sait, de consensus.
Il est évident que pour ces tâches de coordination des politiques de la
Commission européenne (dans leur dimension extérieure), de présidence du
Conseil des ministres ou d’exercice de ses compétences dans le domaine de la
PESC/PESD, le Haut Représentant doit, pour améliorer son efficacité et son
influence, pouvoir compter sur un service extérieur plus indépendant de
l’action des Etats membres et de la Commission européenne. Pour ce faire, il y
a lieu de donner au Haut Représentant la réelle coordination des services qui
participent à l’action extérieure de l’Union. Voilà donc un domaine où des
progrès sont possibles pour autant que l’on soit capable d’utiliser pleinement
les outils existants.
Reconsidérer certaines approches
L’UE et ses voisins
La politique d’élargissement demeure l’un des principaux outils de
l’introuvable « politique étrangère et de sécurité ». Cette politique a d’ores
et déjà permis à l’UE de contribuer à la stabilité et au développement
économique de nombre de ses voisins et est, à ce titre, vecteur de grande
influence pour l’UE. Si la perspective d’adhésion ne saurait constituer
l’unique instrument de la politique européenne de « bon voisinage », il est
utile de souligner qu’elle n’a pas encore épuisé toutes ses vertus politiques.
Certes, la stratégie d’élargissement de l’UE doit être revue sur
plusieurs points. Elle sera d’autant plus efficace et légitime qu’elle sera
ajustée d’un point de vue juridique, social et politique. Face à une certaine
naïveté et précipitation politique qui ont prévalu lors des dernières
adhésions, il s’agit désormais d’assortir l’exercice de l’élargissement d’un
contrôle plus strict des conditions imposées aux candidats tant au moment des
négociations que lors de leur mise en œuvre. Il est impératif de s’assurer
notamment de la capacité des nouveaux pays de faire fonctionner et respecter
l’état de droit garant des libertés publiques.
S’il est probable qu’aucune nouvelle adhésion ne puisse, pour des
raisons essentiellement politiques, se concrétiser dans les prochaines années,
il convient de laisser ouverte cette voie en recherchant à définir une position
de l’UE sur les frontières externes de l’Europe afin d’éviter une fuite en
avant sans limites.
Tout comme les révolutions de l’Est au cours de ces dernières années, le
printemps arabe a conduit à renforcer l’un des autres « piliers » de la
politique extérieure, à savoir « la politique de voisinage ». Rappelons qu’elle
a été consacrée par le traité de Lisbonne au rang de politique commune. Lancée
au début des années 2000, son bilan est aujourd’hui plus que mitigé. Elle était
censée attirer les voisins du Sud et de l’Est sur base d’accords liés à des
valeurs partagées leur permettant d’améliorer leur vie démocratique et
d’assurer une plus grande intégration économique avec le marché intérieur.
Force est de constater que nous en sommes loin. Mais cela tient plus du fait
des bouleversements internes de ces pays que des échecs de la politique de
voisinage. De nombreux pays partenaires font face à de sérieuses crises aux
dimensions politiques, économiques, sociales, sécuritaires voire humanitaires –
que ce soit au Sud avec la Syrie, l’Egypte, la Libye ou la Tunisie, ou à l’Est
avec l’Ukraine, la Géorgie, etc.
Une grande partie de ces pays n’a plus d’appétit pour un rapprochement
avec l’UE, soit pour des raisons idéologiques liées souvent à l’éloignement des
valeurs de l’Occident, soit parce qu’elle n’y voit pas d’avantages suffisamment
tangibles, soit encore, à l’exemple de l’Ukraine, parce qu’elle est
profondément divisée entre partisans du rapprochement avec l’UE et ceux qui
veulent une plus grande proximité avec la Russie. Les objectifs mêmes de la
politique européenne de voisinage, fondée sur le partage de valeurs, semblent
de plus en plus souvent remis en cause.
Malgré ces limites, il n’en reste pas moins que les relations de l’UE
avec ses voisins restent prioritaires. Il y a donc lieu de réorienter cette
politique qui doit passer impérativement par la définition de positions moins
ambigües et plus claires sur nos relations avec deux partenaires essentiels et
incontournables que sont la Russie et la Turquie.
Une des tâches prioritaires du nouveau Haut Représentant/Vice-président
de la Commission vis-à-vis des voisins de l’UE sera de proposer aux Etats
membres une nouvelle stratégie globale qui soit plus ferme et réaliste, qui
prenne mieux en compte la défense de nos intérêts tout en permettant de rendre
l’Union européenne plus attractive. Là encore l’UE n’est pas démunie de solides
cartes sur les plans économique et politique pour autant que les Etats membres
comprennent et acceptent les efforts à entreprendre pour la meilleure défense à
terme de leurs intérêts.
Accord commercial avec les Etats-Unis
Si la bataille de l’emploi restera l’un des défis majeurs de l’UE, il
faut savoir que son sort dépendra en bonne partie de la capacité de l’Union à
développer sa politique commerciale extérieure au bénéfice de ses intérêts et
de ses besoins.
Dans ce contexte, la décision de négocier un partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement (TTIP) avec les Etats-Unis est une initiative
majeure puisqu’il n’existe pas d’accord équivalent entre deux partenaires de
poids économiques similaires et aussi importants. Ensemble, l’UE et les
Etats-Unis représentent un peu moins de la moitié de l’économie mondiale et le
commerce entre les deux partenaires couvre 30% des échanges mondiaux.
L’importance d’une telle négociation tient en particulier à ce
qu’au-delà des enjeux classiques d’un accord de libre échange (réduction des
tarifs douaniers, investissements, restriction des subventions), le projet
concerne les barrières non tarifaires. Cet enjeu décisif entraînerait la
réduction des écarts de réglementation qui, en facilitant le fonctionnement des
chaînes de production multinationales, aurait beaucoup plus d’impact sur
l’accroissement des échanges commerciaux que les seules réductions des droits
de douane.
La façon dont l’UE mène cette négociation et la portée de l’accord qui
serait signé durant la prochaine législature européenne seront décisifs d’un
point de vue économique aussi bien que géopolitique. Par ailleurs, cela devrait
inciter les Européens à se montrer ambitieux dans la promotion de la régulation
de la convergence réglementaire à l’échelle internationale au-delà des
Etats-Unis.
Le défi ultime à relever pour l’UE sera de prendre appui sur la
négociation du TTIP et sur une stratégie d’engagement actif avec les nouvelles
puissances économiques afin de défendre l’attribution à l’OMC d’une compétence
de surveillance de la convergence réglementaire. Cela permettrait d’inscrire la
convergence réglementaire dans un cadre multilatéral.
Ce qui est en jeu c’est aussi le renforcement de la gouvernance mondiale
pour favoriser la coopération sur les enjeux environnementaux, la propriété
intellectuelle, la promotion des droits de l’homme ou encore la sécurité
alimentaire.
La sécurité énergétique
Un autre domaine où l’UE doit
et peut enregistrer des progrès sur le plan de sa politique extérieure est
celui de l’énergie. La dépendance de l’UE vis-à-vis de l’extérieur pour ses
approvisionnements en énergie n’a fait que s’accroître ces dernières années.
L’UE importait déjà 54% de ses besoins énergétiques en 2006 et ses importations
passeraient à 67% en 2030. Alors que la plupart des Etats d’Europe occidentale
ont un approvisionnement relativement bien diversifié sur le plan géographique,
d’autres – principalement parmi les Etats membres d’Europe centrale et
orientale mais pas seulement – demeurent totalement ou majoritairement
dépendants d’une seule et même source, à savoir la Russie. Dès lors, l’énergie
apparaît non seulement comme un enjeu de compétitivité et de développement
durable mais également, et de façon croissante, comme un enjeu de politique
étrangère. Dans ce contexte, la sécurité des approvisionnements revêt une
importance cruciale pour les Européens.
La diversification des sources
d’approvisionnement est un élément clé de la réponse. Il semble dès lors
essentiel que les opérateurs industriels poursuivent leur recherche de nouveaux
champs, comme ils le font en Afrique par exemple. Il est également nécessaire
que l’UE puisse parler d’une seule voix sur la scène énergétique internationale
en nouant des partenariats utiles avec les pays fournisseurs et de transit en
dehors des frontières de l’UE, et en recherchant les accords les plus
favorables pour l’ensemble de l’UE. Cela implique également le développement
d’interconnexions afin de pouvoir mettre en commun certaines capacités
d’approvisionnement. La réussite d’un tel projet illustrerait une avancée
majeure de la politique extérieure commune.
Par ailleurs, l’UE pourrait
également adopter une démarche plus ferme afin d’utiliser au mieux les nombreux
instruments et politiques d’action extérieure dont elle est dotée. Ainsi, il
s’agirait principalement de mettre en perspective la politique de voisinage
aussi bien à l’Est qu’au Sud, les partenariats stratégiques, en priorité avec
la Russie, mais aussi la politique d’élargissement, notamment avec la Turquie,
ou encore la politique de développement, en particulier en Afrique
subsaharienne. L’UE aurait en outre intérêt à poursuivre l’insertion
systématique, lorsque cela est nécessaire, d’objectifs énergétiques dans ses
politiques externes. Voilà une tâche décisive pour la prochaine Commission et
le nouveau Service d’Action extérieure.
Approche pragmatique dans la Politique de sécurité et de défense commune
La Politique de sécurité et de défense commune n’a pas été conçue pour
engager l’UE dans la course à la puissance militaire dans laquelle se lancent
les nouvelles puissances économiques. La part des dépenses de défense du BRIC
(Brésil, Russie, Inde et Chine) est passée de 8 à 13,5% entre 2001 et 2011,
contre une baisse de 30 à 18% pour les Européens, alors que les Etats-Unis se
maintiennent à 41%.
Mais l’ancienne dichotomie entre défense territoriale et intervention
extérieure n’existe plus. La plupart des nouveaux risques et des nouvelles
menaces sont diffus et doivent être traités en dehors des frontières de l’UE.
L’instabilité de la périphérie de l’UE, en particulier au Sud, exige plus
d’anticipation stratégique et une capacité de réaction plus rapide. Cela
d’autant plus que l’on assiste à une volonté de désengagement des Etats-Unis de
la zone pour se concentrer prioritairement sur l’Asie.
Malgré ses faibles résultats, le Conseil européen de décembre 2013 a
adopté la bonne méthode. Il a en effet évité l’écueil des grandes déclarations
ambitieuses en se concentrant sur des objectifs et des programmes spécifiques,
comprenant, entre autres, un agenda raccourci de 18 mois avant le prochain
rendez-vous en juin 2015. Les principales avancées concernent :
1. Les capacités militaires : création d’un club d’utilisateurs des
drones américains, engagement pour la fabrication de drones européens,
développement de la capacité de ravitaillement au sol, etc. ;
2. L’industrie européenne : mention de l’autonomie stratégique avec pour
objectif de ne pas dépendre de l’extérieur pour, entre autres, l’entretien et
les pièces détachées des installations du secteur industriel ;
3. L’étude de la question du financement des opérations extérieures ;
4. La volonté d’actualiser la stratégie européenne de sécurité à la
lumière des nouvelles menaces et priorités.
Comme le soulignait récemment Etienne Davignon, l’alternative de
l’Europe de la défense ou de l’OTAN est dépassée. Les capacités de l’OTAN ne
seront pas suffisantes pour traiter les enjeux de sécurité qui se manifestent
dans le Sud et l’Est méditerranéen, ainsi que dans le Sahel. Il y a donc lieu
de déterminer quelles sont les instances collectives de gestion de crises qui
peuvent contribuer à stabiliser le Sud. Il faut ainsi clarifier la répartition des
tâches à l’intérieur de l’Union, notamment au sein de la Commission européenne,
et adapter les règles communautaires dans un marché aussi particulier que celui
de la défense.
Nous sommes évidemment encore loin des objectifs énoncés dans nos
différents traités, mais l’urgence de certaines menaces devrait contribuer à
prendre certaines décisions pour mettre en œuvre une politique des petits pas,
qui est la seule possible aujourd’hui. Cette politique est indispensable si
l’on veut sauvegarder une crédibilité minimale sur la scène internationale.
Conclusion
Si l’Europe a perdu de son influence dans les affaires du monde aussi
bien sur les plans économique que politique, il n’en demeure pas moins qu’elle
reste un acteur majeur et de poids.
La Politique extérieure de l’UE n’a pas répondu aux attentes qu’elle
avait suscitées, mais force est de constater que l’UE dispose encore d’atouts
et d’instruments nombreux pour faire face aux menaces actuelles et gagner du
terrain.
Dans le long processus de maturation intellectuelle et politique évoqué
par Jacques Delors, il existe aujourd’hui de réelles possibilités d’actions
communes pouvant consolider et améliorer la présence de l’UE dans le monde et
limiter cette perte d’influence.
Sans être exhaustif, nous avons présenté quelques voies où des progrès
sont nécessaires et possibles: la stratégie européenne de Sécurité, une
meilleure utilisation des outils et instruments, le rôle et l’action du Haut
Représentant/Vice-président de la Commission, une nouvelle politique vis-à-vis
des voisins, un approfondissement dans les domaines des Politiques commerciales
et de l’énergie, et enfin une approche pragmatique de la Politique de sécurité
et de défense.
Dans ce vaste chantier qui décidera en partie du renouveau ou du déclin
de l’Europe, il apparaît plus que jamais indispensable que l’UE puisse
s’appuyer sur une plus grande convergence des positions des Etats membres.
Le rôle des Etats membres est donc décisif mais aussi celui de leurs
populations dans le choix de leurs dirigeants. A ce titre, les prochaines
élections au Parlement européen constituent un rendez-vous d’une importance
cruciale si l’on veut conforter une assemblée désireuse de plus d’Union. Le
choix des prochains responsables à la tête des institutions européennes sera déterminant
pour fixer le niveau d’ambition d’intégration des prochaines années.
Eneko Landaburu est
actuellement Administrateur et Conseiller spécial du Président de « Notre
Europe – Institut Jacques Delors ». Il a été Ambassadeur de l’UE au Maroc (2009
– 2013) ainsi que Directeur général de la Commission Européenne, DG Politique
Régionale, Elargissement, Relations Extérieures (1986–
2009).