domingo, 7 de abril de 2013

LA PSYCHANALYSE RÉSISTE À TOUT...


DU BLOG DE “LE MONDE”

NOUVELLES D´ IRAN

Faire de la psychanalyse en Iran


Photo : Amir Eskandari.

La psychanalyse et la République islamique peuvent-elles faire bon ménage ? Les Iraniens sont-ils capables de faire de la libre association alors qu'ils sont censés vivre sous le joug d'un totalitarisme sans merci ? La psychanalyse, élaborée en Occident, peut-elle fonctionner en Iran ? Toutes ces questions, un livre très étonnant, Doing Psychanalysis in Tehran* ("Faire de la psychanalyse à Téhéran", inédit en français), y répond.

Cet ouvrage est l'autobiographie d'une psychanalyste iranienne, Gohar Homayounpour, formée aux Etats-Unis, qui est rentrée dans son pays natal après vingt années passées à l'étranger. Elle a monté son propre cabinet à Téhéran et y reçoit des patients de toutes les couches de la société. Elle est la preuve que, oui, il est tout à fait possible de faire de la psychanalyse en Iran. Ses cinq années de pratique ont donné naissance à ce roman autobiographique qui, pour reprendre les mots de l'auteure, est "une tentative d'écrire sous la forme d'une séance de psychanalyse".
En parcourant ces 176 pages, on rencontre des personnages qui dessinent en creux un pays complexe et étonnant : une peintre intellectuelle qui, atteinte de polyarthrite rhumatoïde, ne peut plus peindre ; une fille religieuse et pratiquante ayant honte de vivre chez ses parents car elle a perdu sa virginité ; un camionneur qui a peur de la nuit et qui veut se connaître davantage... Les Iraniens, tous les Iraniens, ont une soif inextinguible de parler, encore et toujours.

Gohar Homayounpour y raconte également les réactions négatives et l'incrédulité qu'elle a rencontrées lors de la présentation de ses travaux à ses collègues étrangers. Elle les qualifie de "rejet fasciné", en se référant aux termes qu'avait utilisés la psychanalyste et écrivaine française Julia Kristeva. D'après Homayounpour, les Occidentaux attendent toujours des histoires "exotiques" et "séduisantes" sur l’Iran, persuadés qu'il est impossible de pratiquer la psychanalyse dans ce pays. L'auteure cite également une sorte de déception lorsqu'elle a présenté des cas semblables à ceux de ses collègues pratiquant la psychanalyse à Boston ou à New York. Pour Gohar Homayounpour, le complexe d’Œdipe reste le même, où qu'on soit sur la planète, et "la douleur reste la douleur partout", quel que soit le système politique.

Un peu de "l'insoutenable légèreté de l'être"

Le père de Gohar, Parviz, a traduit le chef-d’œuvre de Milan Kundera L'Insoutenable Légèreté de l'être en persan dans les années 1980. Ce roman, réédité une dizaine de fois (fait inédit), est devenu une référence incontournable pour les intellectuels et la jeunesse du pays. La fille de Parviz, amoureuse de ce roman depuis son adolescence, analyse dans son propre livre les protagonistes du roman de Kundera. Elle essaie ainsi de reconstruire sa relation compliquée avec son père tant aimé et qu'elle a cherché sans relâche à impressionner.

Abbas Kiarostami, célèbre réalisateur iranien, qui a écrit la préface de ce livre, considère que le roman de Homayounpour ressemble beaucoup à ses films. "Je sais par mon expérience combien il est difficile d'explorer la condition existentielle sans tomber dans le piège des clichés et de quitter le sanctuaire de stéréotypes [sur l'Iran]", écrit M. Kiarostami. Pour lui, Doing Psychanalysis in Tehran échappe au "marché florissant des films et des livres qui font des Iraniens des attractions touristiques. Avec ce livre, Homayounpour ouvre des fenêtres et met au jour l'obscurité de l'esprit humain", conclut-il. Un bel hommage auquel on ne peut que souscrire.

* Doing Psychoanalysis in Tehran, de Gohar Homayounpour, MIT Press, octobre 2012, 176 pages.