DU BLOG DE “LE MONDE”
NOUVELLES D´ IRAN
Faire de la psychanalyse en Iran
La psychanalyse et la République islamique peuvent-elles
faire bon ménage ? Les Iraniens sont-ils capables de faire de la libre
association alors qu'ils sont censés vivre sous le joug d'un
totalitarisme sans merci ? La psychanalyse, élaborée en Occident,
peut-elle fonctionner en Iran ? Toutes ces questions, un livre très
étonnant, Doing Psychanalysis in Tehran* ("Faire de la psychanalyse à Téhéran", inédit en français), y répond.
Cet ouvrage est l'autobiographie d'une psychanalyste
iranienne, Gohar Homayounpour, formée aux Etats-Unis, qui est rentrée
dans son pays natal après vingt années passées à l'étranger. Elle a
monté son propre cabinet à Téhéran et y reçoit des patients de toutes
les couches de la société. Elle est la preuve que, oui, il est tout à
fait possible de faire de la psychanalyse en Iran. Ses cinq années de
pratique ont donné naissance à ce roman autobiographique qui, pour
reprendre les mots de l'auteure, est "une tentative d'écrire sous la forme d'une séance de psychanalyse".
En parcourant ces 176 pages, on rencontre des personnages
qui dessinent en creux un pays complexe et étonnant : une peintre
intellectuelle qui, atteinte de polyarthrite rhumatoïde, ne peut plus
peindre ; une fille religieuse et pratiquante ayant honte de vivre chez
ses parents car elle a perdu sa virginité ; un camionneur qui a peur de
la nuit et qui veut se connaître davantage... Les Iraniens, tous les
Iraniens, ont une soif inextinguible de parler, encore et toujours.
Gohar Homayounpour y raconte également les réactions
négatives et l'incrédulité qu'elle a rencontrées lors de la présentation
de ses travaux à ses collègues étrangers. Elle les qualifie de "rejet fasciné",
en se référant aux termes qu'avait utilisés la psychanalyste et
écrivaine française Julia Kristeva. D'après Homayounpour, les
Occidentaux attendent toujours des histoires "exotiques" et "séduisantes" sur
l’Iran, persuadés qu'il est impossible de pratiquer la psychanalyse
dans ce pays. L'auteure cite également une sorte de déception
lorsqu'elle a présenté des cas semblables à ceux de ses collègues
pratiquant la psychanalyse à Boston ou à New York. Pour Gohar
Homayounpour, le complexe d’Œdipe reste le même, où qu'on soit sur la
planète, et "la douleur reste la douleur partout", quel que soit le système politique.
Un peu de "l'insoutenable légèreté de l'être"
Le père de Gohar, Parviz, a traduit le chef-d’œuvre de Milan Kundera L'Insoutenable Légèreté de l'être
en persan dans les années 1980. Ce roman, réédité une dizaine de fois
(fait inédit), est devenu une référence incontournable pour les
intellectuels et la jeunesse du pays. La fille de Parviz, amoureuse de
ce roman depuis son adolescence, analyse dans son propre livre les
protagonistes du roman de Kundera. Elle essaie ainsi de reconstruire sa
relation compliquée avec son père tant aimé et qu'elle a cherché sans
relâche à impressionner.
Abbas Kiarostami, célèbre réalisateur iranien, qui a écrit
la préface de ce livre, considère que le roman de Homayounpour ressemble
beaucoup à ses films. "Je sais par mon expérience combien il est
difficile d'explorer la condition existentielle sans tomber dans le
piège des clichés et de quitter le sanctuaire de stéréotypes [sur l'Iran]", écrit M. Kiarostami. Pour lui, Doing Psychanalysis in Tehran échappe au "marché florissant des films et des livres qui font des Iraniens des attractions touristiques. Avec ce livre, Homayounpour ouvre des fenêtres et met au jour l'obscurité de l'esprit humain", conclut-il. Un bel hommage auquel on ne peut que souscrire.