"Le président Morsi n'a pas de stratégie" face aux manifestations en Egypte
Le Monde.fr |Le président égyptien, Mohamed Morsi, a décrété l'état d'urgence pendant trente jours dans les villes de Suez, Ismaïlia et Port-Saïd, théâtres d'affrontements qui ont fait 46 morts depuis quatre jours dans le pays. Des affrontements violents opposent également les manifestants aux forces de police au Caire. Ces nouvelles violences ont éclaté après la condamnation à mort, le 26 janvier, de 21 supporteurs du club de football local, Al-Masry, pour leur implication dans des violences qui avaient fait 74 morts en février 2012, après un match contre une équipe du Caire, Al-Ahly. Un jugement qui intervient alors que l'Egypte célèbre, dans un climat de tensions contre le pouvoir, le deuxième anniversaire de sa révolution.
Lors d'une allocution télévisée dimanche, M. Morsi a également appelé les principaux dirigeants politiques au dialogue. L'opposition, regroupée au sein du Front du salut national (FSN), avait appelé samedi à une "solution globale" à la crise politique incluant notamment un "gouvernement de salut national".Quelle est l'origine des nouveaux troubles meurtriers qui secouent l'Egypte ?
La source des événements actuels est double. Le 25 janvier marquait
le deuxième anniversaire de la révolution égyptienne. Ce jour-là, de
violentes manifestations ont éclaté à Suez, qui ont fait cinq morts. Il y
a un parallèle avec ce qui s'est passé en 2011, la révolution ayant
commencé dans cette ville. On explique le fait que Suez soit un foyer de
tension par la forte concentration de travailleurs dans la ville, une
grande négligence des autorités et une tradition de réactions violentes.
D'autre part, le jugement du 26 janvier qui a condamné à mort 21 supporters du club de football Al-Masry de Port-Saïd
a mis le feu aux poudres dans la ville. Dans les jours précédant le
jugement, les supporteurs "Ultras" du club de football cairote Al-Ahly,
ont menacé de se mobiliser très fortement si aucun verdict n'était rendu dans ce procès. Le 24 janvier, ils ont d'ailleurs mené une action concertée pour bloquer Le Caire. Des annonces avaient été faites avant le procès sur de nouvelles preuves qui pourraient motiver de le retarder. En dépit de ces annonces, le verdict a été rendu le 26 janvier en l'absence des accusés ; et le procès s'est tenu au Caire, et non à Port-Saïd, ce qui est inhabituel.
C'est un jugement politique. D'une part, parce qu'ils n'ont pas retardé le procès en dépit de ces nouvelles preuves pour calmer
la colère des supporters d'Al-Ahly. Et d'autre part, parce que les 21
personnes jugées étaient des jeunes de 18 à 30 ans. Le jugement
concernant les fonctionnaires du club et les forces de sécurité, lui, à
été retardé à début mars, alors même que les rumeurs circulent sur le
fait que la police a regardé les affrontements sans intervenir
et qu'il y aurait eu des provocateurs parmi les responsables du club de
Port-Saïd. En deux ans, les officiels n'ont jamais été condamnés dans
aucun procès, que ce soit concernant "la bataille des chameaux"
ou les heurts meurtriers pendant la révolution. On observe clairement
une politisation de la justice, mais il est difficile de dire de quelle partie du pouvoir
elle émane. En ce qui concerne le président Morsi, on remarque avec ce
procès un changement de ton. Avant, il se battait contre la justice.
Dans ses discours depuis le 26 janvier, il se base sur la justice pour qualifier de "traîtres" ceux qui contestent le verdict.
Pourquoi les manifestations se sont-elles étendues, au Caire notamment, et dans le reste du pays ?
Dès le 24 janvier, la situation s'est embrasée au
Caire. Le verdict rendu dans le procès de Port-Saïd, ainsi que les
violences meurtrières qui ont suivi et la déclaration de l'Etat
d'urgence, ont alimenté ces troubles. Depuis le 24 janvier au soir, les
manifestations se poursuivent jour et nuit, animées notamment par de
nouveaux groupes. L'un d'eux, le Black Block, est particulièrement violent. Il pourrait regrouper une cinquantaine de personnes qui se masquent le visage, ne parlent pas aux médias
et se déclarent anarchistes. On retrouve aussi des révolutionnaires de
la première heure et des Egyptiens qui ont des comptes à règler avec la
police, comme les familles des martyrs de la révolution. Il est
difficile de savoir
avec exactitude qui est présent place Tahrir actuellement. Il y a au
Caire une grande colère contre le gouvernement de Morsi et les Frères
musulmans. La situation est très explosive aujourd'hui.
Le FSN, principale coalition de l'opposition dirigée par MM. ElBaradei, Moussa et Sabbahi, a appelé à manifester et a rendu public ses revendications pour entrer dans un dialogue national : amender les articles de la Constitution qui font polémique ; former un gouvernement de salut national ; abroger
totalement les décrets pris par le président Mohammed Morsi le
22 novembre ; une loi électorale plus transparente ; l'organisation
d'une élection présidentielle avant quatre ans. L'opposition se
positionne pour les élections législatives à venir avec des revendications maximales.
Quelle est la stratégie adoptée par le président Morsi face à ces nouvelles manifestations violentes ?
Le président Morsi n'a pas de stratégie. Il estime que les manifestants vont se fatiguer, d'autant plus qu'ils n'ont pas un fort soutien au sein de la population,
qui est elle-même lassée. Il n'a pas montré de volonté d'apaisement
face aux manifestants. Il a même présenté ses condoléances pour les
victimes de ces nouveaux affrontements par le réseau de microblogging Twitter, ce qui a été très mal vu. Son offre d'ouvrir un dialogue national n'est par ailleurs pas concrète. Les Frères musulmans ne veulent pas former un gouvernement de salut national et ne veulent pas faire d'offre à l'opposition. Ils n'ont pas réellement de porte de sortie.
La stratégie des Frères musulmans va certainement être d'attendre
la tenue des élections législatives dans les prochains mois, où ils
espèrent être majoritaires. Ils ont besoin du Parlement pour gouverner et faire
le lien entre le gouvernement local et le gouvernement national. Au vu
des résultats que le candidat des Frères, Mohamed Morsi, a enregistré
lors de l'élection présidentielle, il n'est pas certain qu'ils récoltent
un score aussi élevé qu'aux précédentes législatives. Cela dépendra des
règles du jeu électorales, notamment de leur transparence et de la
capacité des partis de l'opposition à se coaliser.
Propos recueillis par Hélène Sallon
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