Le rapport de force des cartels de narcos mexicains
Le Monde.fr
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• Par Luc Vinogradoff
Les cartels de narcotrafiquants mexicains sont en pleine
recomposition depuis une dizaine d'années, tant à cause de l'offensive
du gouvernement mexicain contre ses intérêts qu'en raison de dissensions
et de schismes internes à leurs organisations. Ce n'est pas pour autant
qu'ils ont été affaiblis. Pour Michael Braun, un ancien haut
responsable de l'Agence antidrogue américain, il ne fait aucun doute que
les cartels mexicains sont actuellement les groupes criminels les plus
sophistiqués et dangereux de la planète, capables d'opérer rapidement en
cellules autonomes et d'investir des millions de dollars en corruption
et en achat de technologie dernier cri.
Leur implantation au sein de la société mexicaine n'a pas non plus
été résolue. Selon une estimation d'Edgardo Buscaglia, président de
l'Instituto de Acción Ciudadana et un des spécialistes mondiaux du
narcotrafic, près de 71 % du territoire mexicain est sous le contrôle
des cartels, qui établissent des "gouvernements paralèlles" et
contribuent à "l'afghanisation" du pays.
De six cartels en 2006, ils sont aujourd'hui une douzaine à se battre
avec acharnement pour des bouts de territoire toujours plus petits. "La
fragmentation des groupes de crime organisé sous l'administration
Calderon a contribué à une augmentation de la violence dans les Etats du
centre et du Pacifique", note une étude de l'université de San Diego.
Los Zetas. Devenu en quelques années le plus
puissant groupe criminel du pays, cette organisation a été fondée par
une trentaine d'anciens militaires d'élite ayant déserté, pour servir de
bras armé au cartel du Golfe. Les Zetas sont issus des Grupos
aeromoviles de fuerzas especiales (Gafes), les forces spéciales
mexicaines, formées aux Etats-Unis et en Israël à la guérilla urbaine, à
la contre-insurrection ou aux explosifs.
Les Gafes avaient été créés originellement en 1995 pour mettre un
terme à l'insurrection au Chiapas. Ils sont connus pour utiliser des
méthodes impitoyables, copiées sur les techniques des Kaibiles, les
forces spéciales du Guatemala, qui avaient mené contre la guérilla une
politique de la terre brûlée et d'extermination. Les techniques de
décapitation et de mutilation, inexistantes au Mexique avant les années
2000, seraient nées de cette inspiration.
A la fin de 2011, les Zetas, ayant recruté davantage de soldats et de
policiers déserteurs, étaient présents dans dix-sept Etats,
principalement le long de la côte est du Mexique, notamment dans la
péninsule du Yucatan. Les médias et le gouvernement les tiennent
largement pour responsables de l'escalade de la violence au Mexique,
notamment dans les Etats de Jalisco, de Sinaloa, de Veracruz, de
Durango, de Coahuila, de Zacatecas et de San Luis Potosí où ils
s'affrontent avec le cartel de Sinaloa et le cartel du Golfe. Ils
forment actuellement une alliance avec l'organisation Beltran-Leyva et
les cartels de Tijuana et Juarez.
Le cartel de Sinaloa. L'organisation criminelle la
plus puissante du pays, dirigée par l'homme le plus recherché au
Mexique, Joaquin "el Chapo" Guzman. Pour freiner la montée en puissance
des Zetas, ils se sont récemment alliés au cartel du Golfe, anciens
ennemis mortels.
Récemment, le cartel de Sinaloa a contribué à fragmenter le milieu
des narcos en produisant des organisations plus petites et plus
violentes, comme le cartel Jalisco nouvelle génération (CJNG), le cartel
Milenio et La Resistencia. Le CNJG, formé par un ancien lieutenant de
Sinaloa, Ignacio "el Nacho" Coronel (abattu en 2010), et son bras armé,
La Resistencia, s'attaquent désormais en priorité aux Zetas à Veracruz,
Guadalajara et sur la côte Ouest, territoire historique du cartel de
Sinaloa. Le cartel Milenio, aussi connu sous le nom de cartel des
Valencias, s'est au contraire allié aux Zetas.
Le cartel du Golfe. Désormais allié du cartel de
Sinaloa, le cartel du Golfe fait face à d'importantes dissensions
internes, avec deux factions qui se battent pour le contrôle des
opérations depuis la capture de leur chef Osiel Cárdenas Guillén, dit
"el Loco", en 2003, et la mort de son frère Antonio Ezequiel Cárdenas
Guillén, dit "el Tony Tormenta", en 2010. Il reste cependant un des
cartels les plus puissants et les plus nocifs, et maintient le contrôle
de nombreux endroits stratégiques dans les Etats de Tamaulipas et Nuevo
Leon, malgré la montée en puissance de son ancien bras armé, les Zetas.
La nébuleuse Beltran-Leyva. Le cartel de la famille
Beltran-Leyva est une excroissance du cartel de Sinaloa qui a trahi ses
anciens alliés en se rangeant aux côtés des Zetas en 2008. Après la mort
de leur grand leader Arturo Beltrán Leyva, dit "el Barbas", le cartel,
comme d'autres organisations, se fissure en plusieurs factions.
L'héritier familial, Héctor Beltrán Leyva, dit "el H", et d'anciens
lieutenants – Sergio Villareal Barragan, dit "el Grande", et Edgar
Valdez Villareal, dit "la Barbie" (cartel du Pacifique-Sud) – se sont
affrontés pendants des années autour de la région d'Acapulco avant
l'arrestation récente des deux derniers.
La fin de La Familia Michoacana. Cartel de
narcotrafiquants à tendance religieuse, voire mystique, La Familia
Michoacana sévissait dans l'Etat du même nom jusqu'à la fin de l'année
2010 et la mort de son fondateur, Nazario Moreno Gonzalez, dit "el Mas
Loco" ou "el Chayo". Le Michoacan, ancienne zone d'influence du cartel
du Golfe, et les Etats limitrophes sont désormais un lieu de lutte entre
les restes de La Familia Michoacana et un nouveau cartel, Los
Caballeros Templarios ("les chevaliers templiers"), spécialisé dans le
trafic de methamphétamine vers les Etats-Unis.
Le cartel de Jalisco nouvelle génération. Basé dans les régions de Veracruz et Guadalajara, le CJNG a pris de l'ampleur au début de l'année 2011, menant un combat frontal avec les Zetas, allant jusqu'à s'appeller parfois les "MataZetas" ("les tueurs de Zetas"). Le CJNG opère régulièrement en laissant plusieurs dizaines de victimes mutilées dans les rues de grandes villes, les présentant comme des membres des Zetas.
Le cartel de Juarez. Depuis la mort de son leader,
Amado Carrillo Fuentes, dit "el Senior de los cielos", en 1997, le
cartel de Juarez est en perte de vitesse, même s'il contrôle encore
l'axe El Paso-Ciudad Juarez – où transite 70 % de la cocaïne qui arrive
dans le territoire américain. Il repousse régulièrement des attaques du
cartel de Sinaloa dans cette région. Le cartel de Juarez est
actuellement dirigé par Vicente Carrillo Fuentes, dit "el Viceroy".
Le cartel de Tijuana. Egalement connue sous le nom de cartel Arellano Felix, cette organisation criminelle familiale est essentiellement basée dans la ville de Tijuana, où elle a tissé des liens anciens avec les secteurs politiques et financiers. Maintient une alliance avec le cartel de Sinaloa.
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Luc Vinogradoff
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